Le Légendaire de l’automne, des histoires dans nos jardins – Partie I

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Savez-vous que les anciens disent que le vent apporte, avec sa venue, le froid et les légendes ? Voilà pourquoi le mois d’octobre regorge d’histoires et de magie. Souvent, il n’est pas nécessaire de parcourir des kilomètres pour découvrir des lieux empreints de mystères. Nos jardins sont eux aussi le berceau de contes qui se transmettent depuis des générations. Venez découvrir la première histoire du légendaire d’automne dans la suite de cet article.

Le Légendaire d’automne : la poire

Poires mûres

 

Débutons notre voyage par un conte fruité et plein d’audace. La récolte des poires a lieu dans les six mois de raccourcissement du jour de juin à décembre dans l’hémisphère nord. Il s’agit ainsi d’un fruit que l’on savoure volontiers lorsque les temps froids arrivent. C’est ce qu’une vieille bonne femme aurait bien aimé pouvoir faire, dans le conte de « La vieille mère Misère ». L’origine de cette légende est très difficile à trouver, mais une version ancienne, datant des années 1800, situe l’histoire au nord de la France, dans la commune de Vicq au bord de l’Escaut et à quelques kilomètres de la frontière belge. La tradition voulant que les contes soient transmis oralement, leur source est en général inconnue, ou du moins partiellement pour certains.

La vieille mère Misère avait déjà vécu tant et tant d’automnes que, dans son ancienne maisonnette construite de travers dans un paysage usé, le monde entier semblait l’avoir toujours connue là.
Personne n’avait jamais vu plus pauvre qu’elle qui vivait de rien sauf d’un généreux poirier au fond de son minuscule jardin. L’arbre lui offrait de beaux et gros fruits, mûrs et juteux à souhait. Chaque jour, des galopins accouraient au jardin de la vieille mère Misère pour grimper dans l’arbre et en dérober la seule richesse. Riant des jambes arthritiques et voûtées de la propriétaire des lieux, ils mangeaient sans vergogne et haut perchés les poires de la vieille mère Misère qui ne pouvait, bien accrochée à sa canne, que grommeler d’irréalisables menaces à l’attention des garnements.

Une nuit d’orage, alors que les éclairs n’avaient de cesse d’illuminer le ciel noir, quelques coups furent donnés à la porte de la masure de la vieille mère Misère.
« Entrez, entrez donc ! » cria-t-elle pour couvrir le bruit du tonnerre.
Un homme usé par le temps passa alors dans l’embrasure. Il se tenait voûté, le visage tourné vers le sol, une grande barbe grise et marron dépassant de la capuche de son manteau élimé.
« Ma bonne mère, dit l’inconnu en saluant la vieille mère Misère d’un geste faible de la main, le voyageur que je suis n’a ni abri ni nourriture en cette nuit agitée. »
« N’en dites plus, répondit la vieille mère Misère, je n’ai que ce toit pentu et ces quelques poires sur ma table à vous offrir. Restez le temps que vous souhaitez, le peu que je possède est à vous aussi bien qu’à moi. »

Le lendemain matin, il ne restait dans le ciel aucun nuage et les orages faisaient déjà partie des souvenirs. Dans la maison de la vieille mère Misère, celle-ci se réveilla et elle mit quelques instants à comprendre ce qu’elle avait sous les yeux. Sa table si vide d’ordinaire regorgeait de pain frais, de confitures en tout genre et de paniers garnis de fruits colorés. Le mystérieux visiteur semblait, quant à lui, s’être redressé et avoir retrouvé sa jeunesse d’autrefois. En réalité, il n’était autre que le seigneur des Bois qui, traversant la contrée, s’était fait surprendre par la colère du ciel.
« Tu m’as offert le peu que tu possèdes là où de bien plus riches que toi m’ont fermé leur porte, dit-il, je ne peux que te remercier en t’offrant à mon tour ce que je possède. »
« Ma gratitude est infinie, répondit la vieille mère Misère, mais tout cela ne me permettra de me nourrir que pour les quelques jours à venir. »
« Que puis-je donc d’autre pour toi ? »
« Il y a en mon jardin un poirier qui donne chaque jour des fruits juteux à souhait. Toutefois, je n’ai jamais loisir à les savourer, les enfants du village n’ayant de cesse de venir me les chaparder. Pour leur donner une leçon, je souhaite que quiconque monte dans mon arbre y reste coincé jusqu’à ce que je donne mon accord pour mettre pied à terre. »
« Si cela peut te consoler, il sera désormais ainsi. »
Après ses vœux, le seigneur des Bois reparti à sa verte forêt.

L’après-midi même, les garnements du village vinrent se servir de poires dans le jardin de la vieille mère Misère. Au moment d’en redescendre, voyant la bonne femme arriver tranquillement jusqu’à eux, les enfants ne purent décoller ni fesses ni cuisses des branches nouées. Les larmes et les cris remplacèrent les rires et ce fut la vieille mère Misère qui s’esclaffa à son tour. Une fois qu’elle jugea la punition assez sévère, elle libéra les petits qui s’enfuirent pour ne jamais revenir.

Les saisons s’écoulèrent jusqu’à ce que la Mort, respectant son calendrier, vint frapper à la porte de la vieille mère Misère. Celle-ci ne fut pas surprise de sa venue, elle avait parfaitement conscience que son dernier voyage arriverait tantôt. Alors, la vieille mère Misère posa son ouvrage, prit sa canne et se leva pour suivre la Mort hors de sa maisonnette. Une fois au bout de son jardin, elle vit son arbre regorgeant de fruits et trouva bien dommage de le laisser ainsi. Elle demanda donc à la Mort :
« Amie, vieille amie ! Vois-tu ces fruits si beaux ? Il serait dommage de les laisser ainsi après mon départ. Veux-tu m’accorder le temps pour régler cette dernière affaire ? Je vais chercher un panier et toi, si grande et rapide que tu es, monte donc chercher les poires ! »
Désireuse de satisfaire une ultime fois cette vieille d’ici-bas, la Mort ne discuta pas et escalada l’arbre avec aisance. Mais une fois assise sur une branche, elle ne put revenir à terre.
« Bien, dit la vieille mère Misère, te voici ennuyée par la situation. Tout comme moi. J’ai conscience que mon heure doit venir, mais partir maintenant serait pour moi inutile. J’ai encore des choses à régler, alors je te propose ceci. Si je te laisse redescendre, tu m’accordes la faveur de ne venir me chercher que lorsque je te rappellerai. »
Fâchée, la Mort refusa d’abord. Mais lorsqu’elle vit la nuit poindre à l’horizon et la vieille bonne femme retourner à sa maison, elle accepta afin de continuer sa funeste tournée.

C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de ramasser les poires tombées aux pieds des arbres : si vous ne le faites pas, une bonne femme usée s’en chargera. D’ailleurs, la Mort attend toujours d’être rappelée, car la vieille mère Misère est toujours de ce monde. »

Connaissiez-vous ce conte ? Ou en avez-vous déjà entendu une autre version ? Existe-t-il des légendes sur la région dans laquelle vous vivez ? Dites-nous tout dans un commentaire !

Owlonoak

Sources :

Le conte « Le Poirier de Misère » 

L’Elfémeride – Automne-hiver, par Pierre Dubois et René Hausmann, éditions Hoëbeke 

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