La déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé

Texte "La déconjugalisation de l'AAH" en beige sur fond bleu foncé
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Depuis plusieurs mois, des collectifs de personnes handicapées se mobilisent pour faire adopter la désolidarisation des revenus du conjoint dans le calcul de l’AAH. La loi a été votée à l’Assemblée et au Sénat en première lecture mais elle doit encore passer en deuxième lecture à l’Assemblée Nationale où elle sera débattue le 17 juin.

Qu’est ce que l’AAH ?

L’AAH, ou « allocation adulte handicapé » est une ressource financière que peuvent percevoir les personnes handicapées en France. Depuis la dernière revalorisation en avril 2021, le montant maximum de cette allocation est de 903,60 €, soit environ 160 € en dessous du seuil de pauvreté. Elle est attribuée par la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) après la rédaction d’un dossier de demande. La MDPH, en fonction des éléments du dossier, accorde ou non à la personne l’AAH. De la même manière, cet organisme peut attribuer les cartes de stationnement ou de priorité, ou encore la RQTH (reconnaissance de qualité de travailleur handicapé) qui donne droit à différents aménagements au travail.

Une fois l’AAH accordée par la MDPH, le dossier passe à la CAF (caisse d’allocations familiales) qui décide ou non du paiement, total ou partiel. Pour chaque bénéficiaire, le montant de l’allocation est calculé en fonction, notamment, de ses revenus et de ceux de son conjoint. C’est ce mode de calcul qui pose problème et qui est remis en question par le projet de loi.

Pourquoi ce mode de calcul pose-t-il problème ?

Pour beaucoup de bénéficiaires, n’ayant pas la possibilité de travailler, l’AAH constitue la seule source de revenus. Aux difficultés d’accès à l’emploi s’ajoutent les dépenses de santé qui sont souvent beaucoup plus fréquentes et plus élevées que pour le reste de la population : en 2019, l’IRDES (institut de recherche et documentation en économie de la santé) estimait les dépenses de santé des bénéficiaires de l’AAH près de quatre fois plus élevées que celles du reste de la population.

Dessin d'une personne avec une bulle "Veux-tu m'épouser", demandant en mariage une personne en fauteuil roulant qui répond "J'aimerais te dire oui, mais si on se marie je perdrai toute mon autonomie financière..." Au dessus du dessin, un texte "Refuser la désolidarisation de l'AAH c'est nous obliger à sacrifier notre indépendance par amour."

À cause du mode de calcul actuel, si une personne bénéficiaire de l’AAH se met en couple avec une personne qui travaille, le montant de l’AAH va baisser, jusqu’à atteindre 0 € lorsque les revenus du conjoint dépassent 2 270 € mensuels nets. À titre de comparaison, le salaire moyen en France est estimé à environ 2 300 € nets, d’après les dernières données de l’INSEE.

Pour les personnes handicapées qui touchent l’AAH, le fait de se mettre en couple entraîne donc très souvent une perte de revenus, parfois totale. Ce système oblige donc ces personnes à choisir entre leur vie de couple et leur autonomie financière. Celles qui choisissent d’avoir une vie de couple, malgré la perte de revenus individuels que cela engendre, se retrouvent dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de leur conjoint. Cela implique que la personne handicapée ne peut pas effectuer de dépenses ou d’achats sans l’accord de son conjoint, y compris les dépenses de santé fréquentes évoquées au début de l’article. Plus grave encore, le mode de calcul actuel peut renforcer des situations de violences conjugales, car il est encore plus difficile de quitter un conjoint violent lorsque l’on n’a aucune ressource financière pour subsister après la séparation.

Dessin d'une personne avec une canne disant "J'ai besoin d'argent pour payer le bus". Une autre personne assise en train de lire un journal lui répond "Arrête tes caprices, je t'ai déjà donné ton argent de poche ce mois-ci." En haut de l'image, un texte "Refuser la désolidarisation de l'AAH c'est nous infantiliser"

La proposition de loi n°3970 prévoit la déconjugalisation de l’AAH, ce qui signifie que les revenus du conjoint ne seraient plus pris en compte dans le calcul de l’allocation.

Où en est la proposition de loi ?

Cette proposition de loi a tout d’abord été adoptée à l’Assemblée Nationale, en première lecture, le 13 février 2020, malgré l’opposition du gouvernement et des députés de la majorité. La secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, a affirmé à plusieurs reprises son positionnement contre la modification du calcul. L’adoption en première lecture de la loi s’explique donc principalement par l’absence des députés LREM lors du vote initial.

Cependant, une loi adoptée à l’Assemblée n’est pas définitivement acceptée pour autant : pour être promulguée, la loi doit être votée au Sénat, sans que le texte n’en soit modifié, sinon la loi retourne à l’Assemblée.

Après l’adoption du projet à l’Assemblée, une pétition a été mise en ligne sur le site du Sénat pour inciter les sénateurs à prendre connaissance du dossier et éviter que la proposition de loi ne tombe dans l’oubli. Créée par Véronique Tixier, ayant été elle-même victime du mode de calcul actuel de l’AAH, la pétition devait recueillir 100 000 signatures dans un délai de six mois pour que le texte soit étudié au Sénat.

À partir du mois de décembre, de nombreuses personnes handicapées ainsi que des collectifs s’organisent pour faire parler du projet de loi et faire signer la pétition. Fin janvier, le seuil de 100 000 signatures est atteint, pour la première fois depuis le lancement de la plateforme. La loi sera étudiée au Sénat quelques semaines plus tard, le 9 mars. Le gouvernement y est toujours opposé et Sophie Cluzel argumente que des milliers de couples vont perdre des ressources si la loi est promulguée. Or, le Sénat vote la loi en y apportant des amendements, qui permettront aux couples concernés de choisir, pour une durée de dix ans, entre le mode de calcul actuel et celui de la nouvelle loi. L’argument principal d’opposition à la loi ne tient plus, mais qui dit loi modifiée, dit retour à l’Assemblée.

La députée PCF Marie-George Buffet (qui était à l’origine d’un texte similaire en 2019) décide alors d’inscrire le texte dans un ordre du jour et la date d’examen est fixée au 17 juin prochain.

Que faire en attendant ?

D’ici la date du 17 juin, il y a encore beaucoup de choses à faire pour avoir un maximum de chances de faire adopter la loi. La première pétition, sur le site du Sénat, a fait un peu de bruit dans les médias et le sujet ne doit pas retomber dans l’oubli d’ici le nouveau vote.

Dessin d'une personne qui demande "Est ce que tu voudrais avoir des enfants ?". L'autre personne répond "J'aimerais bien, mais je ne me vois pas en élever seule, et si je vis avec quelqu'un mon AAH sera rognée ou supprimée et je n'aurais pas les moyens de les élever..." En haut de l'image, un texte "Refuser la désolidarisation de l'AAH, c'est faire nos choix de vie à notre place"

Plusieurs collectifs, parmi lesquels Objectif Autonomie, créé il y a quelques mois par des personnes handicapées militantes lors de la promotion de la première pétition, ont rédigé et publié une nouvelle pétition, argumentée et sourcée. Cette fois-ci, elle est disponible sur le site de l’Assemblée Nationale.

Pour signer, la démarche est la même que sur le site du Sénat. La signature est possible pour les personnes majeures et de nationalité française. Il faut se connecter avec un compte France Connect, c’est-à-dire via l’un des moyens suivants : le site des impôts, celui de la sécurité sociale, celui de la MSA, via un système d’identification avec un numéro de téléphone Orange ou via le service Identité numérique de la Poste. Si vous n’avez aucun de ces comptes, le plus simple et rapide sera de créer un compte Identité numérique. La démarche complète est expliquée dans cet article.

En plus de la signature et du partage de la pétition, l’important va également être de sensibiliser à ce sujet pour que les enjeux du projet de loi soient bien cernés par l’opinion publique. Plusieurs médias ont publié des vidéos ou des articles sur le sujet (par exemple, la tribune du collectif Objectif Autonomie) et il est important de les partager pour diffuser le message un peu partout. Les personnes militantes et les collectifs s’organisent également pour la création de visuels explicatifs : que représente la pétition, pourquoi faut-il de nouveau signer après le vote du Sénat, etc.

Dessin représentant deux personnes. L'une indique "Je gagné 2000 euros par mois et il recevait 902 euros par mois avant qu'on décidé d'habiter ensemble. Maintenant, on vit avec 2000 euros par mois pour deux..." En haut de l'image, un texte "Refuser la désolidarisation de l'AAH c'est nous condamner à la précarité à vie"

Les comptes suivants sur les réseaux sociaux relaient les contenus liés à la pétition et au texte de loi. Si vous souhaitez vous tenir informé de l’évolution du sujet d’ici le 17 juin, vous pouvez les suivre et partager leurs posts pour que l’information circule au mieux.

Sur twitter : @OAutonomie @leprixdelamour @actupparis @autonostream @handi_bot
Sur facebook : Objectif Autonomie, Handi-social, CLE Autistes, CLHEE

Aviez-vous entendu parler de cette mobilisation autour de la déconjugalisation de l’AAH ? Cet article vous a-t-il permis d’en apprendre plus à ce sujet ? N’hésitez pas à laisser vos questions ou vos commentaires.

Charlie P.

Sources texte :

Objectif Autonomie
Neon Mag
Libération
Ouest France

Source images :

illustrations de Citron Mitermite

7 réflexions sur “La déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé”

  1. Perle de Pluie

    Article vraiment très intéressant et éclairant pour ma part. Je n’en avais pas entendu parler jusqu’à aujourd’hui.

     
  2. j’étais sûre que l’article était de Charlie !
    article très intéressant, à partager absolument !

     
  3. Merci pour cet article très enrichissant. Connaît-on les arguments de l’Assemblée Nationale qui sont en faveur de la promulgation du nouveau calcul et de projet de loi ?

     
  4. Merci pour cet article très intéressant et éclaircissant !
    PS : J’aime beaucoup les illustrations inclusives !

     
  5. Je suis bénéficiaire de l’AAH, car je suis schizophrène, j’ai énormément de mal à évoluer au milieu d’autres gens et ne peux donc pas travailler. Je vis seule et j’appréhende de rencontrer quelqu’un car je perdrais alors mon AAH. Je ne comprends pas pourquoi cette loi n’est pas en place depuis longtemps alors qu’elle le devrait …

     

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