L’Homme qui tua Don Quichotte, le film maudit de Terry Gilliam

L'homme qui tua Don Quichotte
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Si vous avez suivi l’actualité du Festival de Cannes, vous avez probablement entendu parler d’un film intitulé L’Homme qui tua Don Quichotte. Écrit et réalisé par Terry Gilliam, ce film basé sur le héros de Miguel de Cervantes a fait la clôture du Festival et est sorti en salles le 19 mai 2018. Cependant, saviez-vous que la production de ce long-métrage a duré plus de 25 ans et a essuyé une vague incroyable de désastres qui ont plusieurs fois conduit à son annulation ? Je vous propose un retour sur l’histoire de ce projet qui a failli ne jamais voir le jour et sur le film qui en est finalement ressorti.

Le projet Don Quichotte : une accumulation de malchance

L’idée du film L’Homme qui tua Don Quichotte germa au début des années 1990. Pour situer le contexte, nous sommes deux ans après la sortie des Aventures du Baron de Münchhausen de Gilliam, qui fut un échec commercial malgré un dépassement de budget de près de 15 millions de dollars lors de la production.

En 1990, Terry Gilliam appelle Jake Eberts, un producteur canadien, pour lui demander 20 millions de dollars pour réaliser un film basé sur Don Quichotte. Ce n’est qu’après avoir obtenu l’accord du producteur que Gilliam lit le livre de Cervantès et sa première pensée est que le film est irréalisable tel quel.

Pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire de Don Quichotte, il s’agit à l’origine d’une parodie des livres de chevalerie de l’époque (la première partie de Don Quichotte date de 1605). Un homme d’une cinquantaine d’années, Alonso Quichano, se perd dans ses lectures de romans de chevaliers dont il fait la collection de manière obsessive. Quichano finit par perdre la notion de la réalité et par se prendre pour Don Quichotte, un chevalier errant, avec pour objectif de défendre les opprimés contre les forces du mal. Il se met alors à parcourir l’Espagne sur son cheval Rossinante, un animal déjà âgé et en mauvais état physique. Quichotte entraîne avec lui un paysan du nom de Sancho Panza, et tous deux vont combattre les « géants » que voit Quichotte dans les moulins à vent pour sauver les « princesses » que sont à ses yeux les filles des paysans de la région.

Revenons au film de Gilliam : il faudra presque dix ans pour que le scénario mûrisse en une version réalisable au cinéma. Il est alors question du voyage dans le temps d’un publicitaire, Toby, à l’époque de Don Quichotte. Ce dernier le prend pour son célèbre écuyer Sancho, et Toby se retrouve embarqué dans des aventures plus rocambolesques les unes que les autres.

C’est cette version qui est lancée en 1999, sous le titre qui restera jusqu’à la fin, L’Homme qui tua Don Quichotte. Le tournage devait à l’origine commencer en septembre de cette même année, mais les financements promis n’arrivèrent pas à temps, et le projet fut retardé jusqu’en octobre 2000 où il reprit vie grâce à de nouveaux investisseurs.

Malheureusement, ce n’est que le début des soucis pour ce film. Sans compter les problèmes rencontrés pendant la phase de pré-production, comme l’incertitude de la présence des acteurs jusqu’à quelques jours avant le début du tournage, dès le premier jour de celui-ci en Espagne, la prise son est rendue impossible par les vols des avions de la base militaire voisine. Le deuxième jour ne se déroule pas mieux puisque cette fois-ci, c’est un déluge qui vient ravager le décor désertique qui devait être utilisé pour tourner, et abîme une partie du matériel.

À cela s’ajoutent de nombreux problèmes annexes : par exemple, l’équipe avait loué un studio en Espagne pour tourner des scènes en intérieur. Finalement, en arrivant sur place, le studio n’est en réalité rien d’autre qu’un hangar, totalement inadapté pour la réalisation d’un film.

Pendant que l’équipe se bat avec les assurances pour savoir si les dégâts causés par la pluie sont couverts par leur contrat, l’acteur principal Jean Rochefort, alors âgé de 70 ans, est reconduit d’urgence à Paris pour des douleurs au dos. Celles-ci se révéleront être une double hernie-discale qui lui interdira de tourner pendant plusieurs semaines. En effet, Rochefort tenait le rôle de Don Quichotte : il était donc nécessaire qu’il monte à cheval, ce qui lui était évidemment impossible dans cet état.

Quelques semaines plus tard, il est officiellement annoncé que Jean Rochefort ne reviendra pas sur le tournage (il ne remontera d’ailleurs plus à cheval après cet épisode). Sans son acteur principal et avec les autres soucis accumulés, le tournage est finalement arrêté. La compagnie d’assurance récupère les droits du film, et il faudra attendre plusieurs années pour que Gilliam les retrouve et mette en chantier une nouvelle version de L’Homme qui tua Don Quichotte.

Un documentaire, sorti en 2002 et intitulé Lost in la Mancha, reprend tous les problèmes qui ont eu lieu lors du tournage de 2000. À l’origine, il devait s’agir d’un bonus du DVD de L’Homme qui tua Don Quichotte, mais finalement c’est le documentaire qui sort en salles.

Vous pensez que la malédiction du film s’arrête ici ? Vous allez être étonné…

Une fois les droits récupérés, Gilliam met en production une deuxième version de son film, avec comme acteurs principaux Robert Duvall (Le Parrain) et Ewan McGregor (prélogie Star Wars). Cependant, quelques semaines après l’annonce à Cannes de la remise en production du film, Terry Gilliam perd son financement. En 2011, le réalisateur réessaye avec un nouveau producteur et Owen Wilson (Mon beau-père et moiStarsky et Hutch) pour remplacer Ewan McGregor : à nouveau, le manque de financement cause l’annulation du projet.

En 2014, Gilliam essaye encore avec cette fois-ci John Hurt (Harry Potter) dans le rôle de Don Quichotte et Jack O’Connell (SkinsThis is England) dans celui de Toby. Le script est remanié, il n’est plus question d’un voyage dans le temps, et Toby n’est plus un publicitaire, mais un réalisateur qui revient sur les lieux du tournage de son film sur Don Quichotte. Ce nouvel essai aurait pu être le bon, mais encore une fois, il rencontre des problèmes de financement et surtout de maladie de l’acteur principal : John Hurt est touché par un cancer à l’été 2015, et par conséquent n’est plus assuré pour sa participation au film. Il est donc écarté du projet, et celui-ci tombe à l’eau une nouvelle fois.

En 2016, le projet est récupéré par le producteur Paulo Branco et une nouvelle version est mise en route, avec comme acteurs principaux Michael Palin (un ancien membre des Monty Python, comme Gilliam) et Adam Driver (Star Wars VII et VIII). Le tournage est annoncé pour l’automne 2016, mais… cette fois-ci, c’est une forte mésentente entre Branco et Gilliam qui conduit à l’annulation du projet, les investisseurs principaux s’étant une nouvelle fois retirés.

2017 – 2018 : enfin, la production et la sortie du film ! 

Une nouvelle fois, L’Homme qui tua Don Quichotte est relancé, en 2017 et avec Jonathan Pryce (Pirates des CaraïbesGame of Thrones) dans le rôle de Quichotte, et cette fois-ci sera la bonne ! Toutefois, cela ne signifie pas que les problèmes s’arrêtent ici… La production et le tournage sont menés à terme, mais la santé de Gilliam est fragilisée par les problèmes rencontrés avec le précédent producteur et il se voit contraint de porter un cathéter pendant une partie du tournage.

Parallèlement à la réalisation du film, l’équipe à l’origine de Lost in la Mancha tourne un nouveau documentaire qui s’intitulera He Dreams of Giants (« Il rêve de géants »), en référence à la fois à Don Quichotte, mais aussi à Gilliam lui-même.

En avril 2018, L’Homme qui tua Don Quichotte est officiellement annoncé comme film de clôture du 71e Festival de Cannes, et sa diffusion est prévue le 19 mai. C’est sans compter sur le conflit entre Terry Gilliam et Paulo Branco, le producteur de la version de 2016, qui sont toujours en plein procès à propos des droits d’exploitation du film. Il faudra attendre le 9 mai, soit dix jours seulement avant la date de sortie annoncée, pour que la justice donne raison à Gilliam et permette la diffusion du film à Cannes et sa sortie dans les cinémas.

Précisons que la veille du rendu de cette décision, Terry Gilliam a été victime d’un AVC, compromettant sa présence au Festival lors de la diffusion de son œuvre, décidément maudite jusqu’au bout…

Après tant de péripéties, quel résultat ?

Nous sommes en 2018, et c’est donc chose faite : le film impossible, celui que l’on enseigne dans les écoles de cinéma pour montrer tout ce qui peut mal tourner lors de la réalisation d’un long-métrage, a vu le jour ! Très attendu par beaucoup de cinéphiles, il n’y a plus qu’une seule étape à franchir : celle des critiques.

Je suis allée voir le film le lendemain de sa sortie et juste après avoir vu le documentaire Lost in la Mancha. Précisons que je n’avais vu aucun film de Terry Gilliam auparavant : c’est assez important, car ce réalisateur semble avoir un style très particulier qui surprend lorsque l’on n’est pas habitué. C’est pourquoi je ne vous conseillerais pas de vous baser uniquement sur mon propre avis – de néophyte en cinéma de genre – pour vous faire une idée de L’Homme qui tua Don Quichotte.

Vous vous en doutez après ce préambule, je n’ai pas apprécié le film. Je l’ai trouvé long, très long, extrêmement tiré par les cheveux et finalement assez creux. Le scénario de base était pourtant intéressant, mais l’on se perd rapidement dans des péripéties toutes plus irréalistes les unes que les autres. Évidemment, tout n’est pas à jeter dans L’Homme qui tua Don Quichotte : j’ai par exemple beaucoup aimé les allusions à la réalisation réelle du film. Sans en dire trop pour ne pas spoiler, la mise en abîme est plus qu’évidente, et l’on retrouve Gilliam à la fois à travers le personnage de Toby, mais aussi à travers celui de Don Quichotte. Je pense qu’il est important de connaître le background du film avant de le visionner, pour bien saisir toutes ces petites références.

Autre point fort du film : les jeux d’acteurs de Driver et de Pryce sont irréprochables, mais cela ne suffit pas (à mes yeux) à rattraper tout ce qui pêche.

Depuis que j’ai vu le film, j’ai lu régulièrement des critiques presse et spectateurs et dans l’ensemble, tout le monde est plutôt unanime : le film déçoit, et c’est tout à fait logique, pour un projet qui est attendu depuis plus de 25 ans (je n’étais même pas encore née) ! Il aurait fallu un miracle pour que l’on ne soit pas du tout déçu.

Encore une fois, je ne suis pas du tout adepte de ce genre de films, c’est pourquoi je vous invite à vous faire votre propre idée de celui-ci : je suis sûre que L’Homme qui tua Don Quichotte saura trouver son public. Si vous aimez les films un peu barrés, n’hésitez pas !

Sur Youtube, Le Fossoyeur de films a fait une critique du film, que je vous invite également à consulter, car il maîtrise mieux le sujet que moi. Par exemple, il a su remarquer que L’Homme qui tua Don Quichotte était un condensé de la carrière de Gilliam, ce que je n’aurais pas pu déceler puisque je n’ai vu aucun autre de ses films. Le Baron de Münchhausen, dont le Fossoyeur a également fait une critique, m’intéresse particulièrement !

C’est ainsi que s’achève cet article sur le film maudit de Terry Gilliam. J’espère qu’il vous aura permis de mieux cerner les enjeux et l’histoire de celui-ci. J’attends vos avis sur le film dans les commentaires !

Kaalyn

Source texte :

Lost in la Mancha, 2002

Wikipédia : 123

The Guardian

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1 réflexion sur “L’Homme qui tua Don Quichotte, le film maudit de Terry Gilliam”

  1. Quelle péripéties pour arriver à sortir ce film, il faut être persévérant ! Je ne suis pas sûre de vraiment réussir à me plonger dans ce genre de film, donc je ne compte pas aller le voir au cinéma, mais peut-être dans quelque temps si j’en ai l’occasion 🙂

     

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