L’alimentation émotionnelle

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Les sciences de la santé s’intéressent de plus en plus au concept d’alimentation émotionnelle, un comportement alimentaire problématique. Dans cet article, je vous présente les connaissances actuelles sur le sujet et mon parcours pour combattre ce problème.

Qu’est-ce que l’alimentation émotionnelle ?

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Le concept d’alimentation émotionnelle désigne un comportement alimentaire problématique qui consiste à moduler la consommation alimentaire en réponse à un ressenti émotionnel plutôt qu’à celui de la faim ou de la satiété. En d’autres termes, les émotions négatives ou positives augmentent ou diminuent la consommation alimentaire et le contrôle de la prise de poids.

Les études actuelles mettent en cause l’alimentation émotionnelle dans le surpoids et l’obésité ainsi que dans l’ensemble des troubles du comportement alimentaire (TCA). Les recherches ont porté principalement sur la prise alimentaire, c’est donc sur ce versant de l’alimentation émotionnelle que nous nous attarderons dans la suite de cet article.

Les mécanismes mis en cause dans l’alimentation émotionnelle sont identiques à ceux incriminés dans les troubles addictifs : la nourriture est utilisée comme automédication d’un ressenti déplaisant et pour procurer du plaisir immédiat.

Les émotions négatives telles que l’ennui, la colère, l’anxiété et les états émotionnels tels que le stress et la dépression sont fortement liés à la prise alimentaire chez les « mangeurs émotionnels ». Ces émotions impactent non seulement la quantité ingérée mais aussi le type d’aliments consommés, généralement gras, sucrés, salés et très caloriques. Les émotions positives ont été jusqu’alors peu étudiées, mais il semblerait qu’elles soient également un potentiel facteur de risque de surpoids et d’obésité.

Les facteurs génétiques et environnementaux pouvant favoriser l’apparition de ce comportement alimentaire restent méconnus. Des études montrent cependant que le climat familial émotionnel et les habitudes alimentaires parentales influencent la survenue de l’alimentation émotionnelle chez les enfants et les adolescents. Enfin, l’alimentation émotionnelle touche davantage les femmes que les hommes.

Des études rapportent également des associations entre l’alimentation émotionnelle et des indicateurs de mauvaise santé mentale. Les personnes souffrant de burn-out, de stress post-traumatique, de dépression ou ayant connu des traumatismes dans l’enfance ont plus fortement recours à l’alimentation émotionnelle. Il existerait également un lien entre ce comportement et le TDA/H (trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité) ainsi que la bipolarité. De manière générale, les personnes anxieuses ou ayant une tendance à la dépression sont plus enclines à développer une alimentation émotionnelle.

L’alimentation émotionnelle a donc des effets délétères sur la santé, du fait de sa forte implication dans le surpoids, l’obésité et les TCA, et témoigne généralement d’une mauvaise santé mentale.

Comment traiter l’alimentation émotionnelle ?

À l’heure actuelle, les pistes privilégiées sont le recours à des thérapies cognitivo-comportementales (TCC). Il semble essentiel de prendre en compte les liens entre émotions et alimentation et d’évaluer les motivations sous-jacentes à la prise alimentaire ou à l’inverse à la réduction de la consommation alimentaire. Cela doit s’accompagner, selon les cas, d’une prise en charge nutritionnelle concernant les quantités et les aliments consommés.

Mon parcours avec l’alimentation émotionnelle

Je vais parler ici de mon expérience personnelle et de comment j’ai réussi à traiter ce comportement alimentaire problématique afin de pouvoir potentiellement aider des personnes atteintes du même trouble. Toutefois, ce qui a marché pour moi ne marchera peut-être pas sur quelqu’un d’autre. Je ne peux parler ici que de la prise alimentaire et pas du problème inverse. Si vous vous reconnaissez dans la description de l’alimentation émotionnelle ou dans ce que je vais relater, je vous invite à vous faire accompagner par un ou des professionnels de la santé (psychologue, diététicien, nutritionniste).

Balance

Comment cela s’est manifesté

Je ne détaillerai pas ici les circonstances dans lesquelles j’ai grandi ou les événements que j’ai vécus, toutefois je peux parler de mon rapport à mon poids.
Suite à une opération chirurgicale vers mes 5 ans, j’ai subitement pris beaucoup de poids et suis devenue une enfant légèrement en surpoids, puis avec un IMC normal mais toujours proche du surpoids. Je n’étais pas une enfant et une adolescente inactive et accro aux sucreries.

J’ai commencé mes études supérieures par deux années en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), des études extrêmement exigeantes et stressantes. Dès la première année, j’ai pris 10 kg à cause du stress, de la fatigue chronique (je travaillais environ 60 h par semaine) et du manque d’exercice physique. J’étais à l’internat du lycée et prenais donc tous mes repas à la cantine, mais afin de veiller tard il m’arrivait de manger un fruit ou un ou deux carrés de chocolat le soir. Je pense que c’est ici que s’est tissé un lien fort entre stress/fatigue et ingestion d’aliments réconfortants.

Après mon entrée en école d’ingénieur, j’ai rapidement et naturellement perdu ces kilos « de stress ». Toutefois, pendant mes années d’étude, mon poids a fait le yo-yo, mais je me maintenais en léger surpoids : dans les épisodes stressants ou déprimants, je prenais du poids que je perdais ensuite quand la vie reprenait un cours normal et sain. En effet, lorsque j’étais stressée, fatiguée ou triste, je mangeais beaucoup plus qu’à la normale et j’avais tendance à grignoter. La base de mon alimentation a toujours été relativement équilibrée, je consommais peu de malbouffe, mais ces épisodes où je multipliais les petits écarts avaient un impact direct sur mon poids.

Lorsque j’ai commencé à travailler, cette alternance de périodes s’est poursuivie due à différents facteurs. Le problème, c’est que contrairement à avant, je n’arrivais plus à perdre le poids que je prenais dans les épisodes « sombres ». Cela a eu un impact de plus en plus délétère sur la perception que j’avais de mon corps et de mon estime de moi. Ainsi cela impactait ma santé mentale et un cercle vicieux dont je n’arrivais pas à sortir s’est mis en place : quand j’allais mal, je prenais du poids, car je compensais le mal-être par la nourriture ; quand j’allais mieux, je n’acceptais pas les changements de mon corps, mais n’arrivant pas à perdre ces kilos « disgracieux » je me sentais à nouveau mal, et c’était reparti pour un tour. Ces cinq dernières années, j’ai pris environ 20 kilos, et les 10 derniers en l’espace d’un an et demi seulement. Je suis passée d’un surpoids à une obésité modérée.

La COVID et les confinements ont joué le rôle de catalyseur dans ce processus. J’ai passé les deux mois du premier confinement toute seule, dans mon appartement de 30 m², à télétravailler dans de mauvaises conditions. L’ennui et l’anxiété ont été mes pires ennemis. La proximité immédiate de mes placards m’a rapidement conduite à grignoter, et ce de plus en plus régulièrement et dans des proportions de plus en plus grandes. Deux ans plus tard, toujours partiellement en télétravail, cela est devenu de plus en plus envahissant dans ma vie et je perdais franchement le contrôle sur mes prises alimentaires. J’en étais rendue à ne plus pouvoir me concentrer sur mon travail si l’obsession de manger se manifestait. Les prises alimentaires sont devenues de plus en plus anarchiques dans la journée, et le sentiment de culpabilité toujours plus grand. Je me suis mise à rationaliser de plus en plus mon alimentation, en classant dans ma tête les aliments sains et mauvais, en essayant compulsivement de compenser les « mauvaises » prises alimentaires par des bonnes, mais je n’arrivais plus du tout à distinguer la faim de la pulsion et j’avais complètement perdu la notion de satiété. En clair, je me dirigeais tout droit vers l’apparition d’un TCA.

Comment j’ai vaincu ce comportement alimentaire

légumes

Cela faisait plusieurs années qu’on me demandait pourquoi je ne faisais pas de régime ou n’allais pas consulter un diététicien classique, mais je sentais que cela ne m’aiderait pas. Il convient de rappeler ici que les études montrent que les régimes alimentaires ne fonctionnent pas et induisent à long terme une prise de poids importante plutôt qu’une perte. Le rééquilibrage alimentaire fonctionne bien mieux, mais les effets sont surtout notables dans le cas où la personne a initialement une alimentation très déséquilibrée.

Mon alimentation a toujours été relativement équilibrée et diversifiée, certes trop riche par instant, mais pas foncièrement problématique. Je sentais (à raison) que m’imposer un régime vraiment strict concernant les apports en sucre et graisses n’allait qu’induire une énorme frustration qui viendrait accentuer mes envies de compenser par la nourriture. J’avais compris depuis longtemps que mes émotions négatives me conduisaient vers des comportements alimentaires problématiques.
Toutefois, lorsque j’ai pris conscience que mon rapport à l’alimentation se dégradait considérablement, j’ai décidé de prendre rendez-vous avec une diététicienne spécialisée dans les troubles alimentaires, détentrice d’un D.U. en addictologie.

Lors de mon premier rendez-vous avec elle, nous avons discuté de l’évolution de mon poids au cours de ma vie, de mon rapport à la nourriture, de mon rapport au corps, etc. À l’issue de cette discussion, c’est elle qui a posé le diagnostic d’alimentation émotionnelle. Je n’avais jamais entendu parler de ce terme, mais cela m’a soulagée de voir que je subissais quelque chose de bien plus complexe que simplement du « laisser aller » ou de « la fainéantise », ce dont bon nombre de personnes accusent les personnes en obésité. Ma diététicienne m’a prévenue que cela prendrait du temps, mais que j’arriverais à m’en sortir.

Avec elle, j’ai établi une petite liste d’objectifs. Elle m’a également fourni des indications sur la composition de mes repas et de mes collations en tenant compte de mes habitudes alimentaires et de vie, mais aucun aliment ne m’était interdit et le principal objectif était de ne plus ressentir de culpabilité. On a mis en place des stratégies pour m’aider à surmonter les « envies », par exemple :
– boire un thé, une tisane ou un grand verre d’eau ;
– me mettre sur une tâche me demandant de la concentration ;
– faire un petit tour dehors pour prendre l’air.

Si aucune ne marche, je prends le temps de m’installer et de manger sans précipitation, si possible des substituts plus sains que ce que je grignotais par le passé.

J’ai dû réapprendre à visualiser les quantités qu’il était raisonnable de manger et à respecter la fréquence des repas. Ce qui m’a bien aidée c’est de disposer tout mon repas sur un plateau afin de mieux me rendre compte des quantités et ne pas vouloir manger plus que cela.

Pendant les deux premiers mois, j’ai dû tenir un journal alimentaire quotidien en détaillant ce que j’avais mangé et bu (hors eau) et en indiquant mon état émotionnel (heureuse, triste, fatiguée, stressée…) et s’il y avait eu un événement particulier ce jour-là (soirée chez des amis, mauvaise nouvelle, insomnie, menstruations…). Ceci avait pour but que j’identifie plus facilement les situations « à risque ».

Les premières semaines ont été les plus difficiles, j’avais l’impression d’être en cure de désintoxication. Au début, la fréquence et la composition des repas/collations que ma diététicienne m’avait indiqués m’ont fait prendre conscience qu’en temps normal, je ne mangeais finalement pas assez. Avec ces préconisations, je ne ressentais quasiment jamais la faim et cela m’a permis d’identifier les pulsions et les faire taire. Peu à peu, j’ai réduit le nombre de collations et les quantités afin de les ajuster à mes besoins réels lorsque la sensation de satiété et de faim sont revenues naturellement.

Les mois suivants, j’ai ensuite constaté de réels changements dans ma relation à la nourriture. Cela a été de moins en moins difficile de respecter les temps de repas et les quantités ; les envies obsédantes se sont faites plus rares. Quatre mois après le début de mon suivi, lors d’un repas en famille au restaurant, je me suis rendu compte que je n’étais plus capable de manger autant qu’avant et que manger au-delà du raisonnable m’était devenu physiquement insupportable. La leçon fut certes un peu amère, mais représente pour moi une énorme victoire. J’ai poursuivi mes efforts et en moins de six mois j’ai réussi à mettre en place une alimentation dite « intuitive » (le contraire de l’alimentation émotionnelle), ce que je ne pensais pas pouvoir atteindre un jour ou, du moins, pas aussi rapidement.

Aujourd’hui, cela fait un peu moins d’un an que je suis suivie par ma diététicienne. Je n’ai perdu que deux kilos, mais je n’avais plus perdu depuis tellement d’années que cela est extrêmement encourageant. Je sais qu’en ayant une activité physique plus régulière et en maintenant mes efforts sur l’alimentation, je vais pouvoir continuer à perdre.

Je dois préciser que j’ai suivi en parallèle une thérapie auprès d’une psychologue. Je n’ai pas spécifiquement travaillé avec elle la thématique du corps, de l’alimentation et des émotions, mais dénouer certaines choses de mon passé a certainement participé à une amélioration globale de mon bien-être.

Pour conclure, le surpoids et l’obésité ne résultent pas d’une simple fainéantise et l’alimentation émotionnelle permet de mieux comprendre ce qui peut favoriser l’apparition de l’obésité et des TCA. De plus, si vous avez développé une alimentation émotionnelle, j’espère vous avoir montré à travers mon parcours que cela n’est pas une fatalité et qu’on peut s’en sortir en ayant recours à des stratégies adaptées et non pas à des régimes classiques.

Connaissez-vous l’alimentation émotionnelle ? En êtes-vous atteint ? Si vous avez des conseils ou des ressentis à ce sujet, partagez-les dans les commentaires.

Sonatine

Sources texte

Léna BOURDIER (2017). Affectivité et alimentation : étude de leurs liens au travers des concepts d’alimentation émotionnelle et d’addiction à l’alimentation. Thèse de Psychologie de l’Université Paris Nanterre. https://bdr.parisnanterre.fr/theses/internet/2017/2017PA100142/2017PA100142.pdf

S. Berthoz (2015) Concept d’alimentation émotionnelle : mesure et données expérimentales,
European Psychiatry, Volume 30, Issue 8, Supplement, Pages S29-S30, ISSN 0924-9338,
https://doi.org/10.1016/j.eurpsy.2015.09.088

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3 réflexions sur “L’alimentation émotionnelle”

  1. Article hyper intéressant. Il me semble avoir déjà entendu parler de ce trouble sous la fameuse phrase « manger ses émotions ».
    Merci Sona, c’est super motivant !

     
  2. Pour moi, ce qui a fonctionné, c’est de suivre une routine alimentaire stricte : je planifie à l’avance mes repas et leurs horaires. Cela m’aide à éviter les envies impulsives qui surviennent souvent quand on saute un repas.

     

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