Les Garçonnes, femmes libres ?

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Des garçonnes.

Qu’est ce qu’une garçonne ?

« La garçonne » est une expression employée au début du vingtième siècle (au début des années 20) pour désigner une femme qui porte des vêtements traditionnellement réservés aux hommes comme le pantalon, le smoking, le haut-de-forme. Au-delà du simple vêtement, l’attribut par excellence de la garçonne sera ses cheveux courts… Ce terme reste très lié aux années 20 et à la révolution vestimentaire qu’ont connu ces années dites « années folles ».

Pourquoi parler aujourd’hui de la garçonne ?

La garçonne est intéressante sous plusieurs aspects encore aujourd’hui. Être une garçonne en 1920, c’est briser deux tabous de la société. Le premier tabou remis en cause est la distinction des sexes par le vêtement : une femme devait auparavant porter une robe, les cheveux longs et un homme portait le pantalon, les cheveux courts. Le deuxième est celui de l’homosexualité féminine. En effet, on associe très facilement ces femmes portant des tenues d’hommes à des homosexuelles. D’ailleurs, les conservateurs opposés au port du pantalon par la femme vont se servir de l’homophobie et de la méconnaissance de l’homosexualité féminine pour tenter d’empêcher cette libération de la femme par le vêtement.
Aujourd’hui il est intéressant de repenser l’histoire de la garçonne à l’heure où on assiste à un retour au « tout féminin » et au « tout masculin », c’est-à-dire un temps où on parle de « vraies » femmes et « vrais » hommes. C’est-à-dire des femmes qui assument leur « féminité » (mais qu’est-ce que la féminité, au fond ?) avec des talons aiguilles, du rouge à lèvres, des jupes… et inversement, des hommes qui veulent se viriliser à tout prix et pour qui porter des attributs féminins fait d’eux des **, mot en deux lettres, je vous laisse deviner lesquelles. On retrouve cette idée de « vrai » et de « faux », comme si posséder un sexe ne suffisait pas, il fallait également se conformer à des attitudes et des étiquettes imposées. La garçonne, après un XIXe siècle extrêmement caricatural dans les stéréotypes de genres, réussi à se libérer -en partie – des étiquettes qu’on lui impose pour trouver et inventer une nouvelle manière « d’être une femme ».


Marlène Dietrich, actrice allemande. Une des premières garçonnes, emblème de la femme libérée assumant son homosexualité.

Les nouveaux canons de beauté des années 20.

La mode garçonne est avant tout un cri de libération des femmes contre un vêtement qui réduit leurs mouvements, qui les enferme et les empêche de travailler : le corset en est l’exemple-même. Les femmes ayant remplacé leurs maris dans les usines et ayant à cette occasion porté le pantalon souhaitent continuer, malgré une loi de 1905 leur en interdisant le port. Avec ça, les femmes adoptent la veste de smoking, le noeud papillon… mais surtout les cheveux courts. On peut se dire garçonne et être étiquetée comme telle lorsqu’on a dit adieu à sa chevelure. On tente de gommer toutes les traces « de féminité » au sens traditionnel de son corps : on bande ses seins, on rejette les formes opulentes qu’on recherchait auparavant, car synonymes d’une bonne capacité à enfanter et on voue un culte à la silhouette filiforme et androgyne… Marlène Dietrich (ci-dessus), célèbre garçonne allemande, se fera même enlever deux dents pour avoir les joues plus creusées ! Et certaines garçonnes comme Maryse Choisy se font couper les seins… Même si ce sont des cas très rares, ils défrayent la chronique de la presse populaire et créent une réelle angoisse dans les milieux catholiques et conservateurs.


Un tailleur Lanvin, en 1925.

Serait-ce alors vraiment une libération si les femmes se contraignent à de telles violences ? On pourrait croire que non, mais ce serait là porter un regard moderne et rétrospectif sur le phénomène en mettant en parallèle la garçonne avec certains ravages du culte de la minceur. Mais en réalité, à l’époque, c’est un véritable souffle pour les femmes qui portent enfin des vêtements qui ne les gênent plus, qui imposent un autre modèle de féminité et refusent les règles anciennes du XIXe siècle pour s’en inventer d’autres.
Du côté des hommes, eux aussi « se féminisent » en épousant des vêtements plus amples, en se rasant moustaches et barbe, emblèmes virils du XIXe siècle (et certaines femmes commencent à s’épiler… c’est l’ouverture d’un siècle pilophobe). Les pantalons deviennent larges et on les confond parfois avec des jupes.

Il faut cependant reconnaître, que les « butch » c’est-à-dire les femmes qui « inversent tout sauf leurs organes génitaux », comme Madeleine Pelletier, ci-dessous, sont plutôt rares. Et la garçonne porte souvent le pantalon avec du rouge à lèvres très rouge, du parfum et des bijoux pour rappeler son sexe. La garçonne a en réalité un charme bien féminin malgré tout.

D’où vient la garçonne ?

Contrairement à ce qu’on pourrait penser en regardant des navets… euh, des films, pardon, comme Coco avant Chanel, la garçonne n’a pas été créée par de grands visionnaires de la mode comme Coco Chanel ou Jeanne Lanvin… En réalité, la garçonne vient avant tout des femmes elles-mêmes, elles n’attendent pas les créateurs de mode pour se couper les cheveux. Elle répond à une réelle demande populaire avant d’être une offre. Les créateurs la dédaignent d’abord, avant de se l’approprier. Et ce n’est qu’aux environs de 1924 qu’ils lancent des vestes ou des pantalons pour femmes…
La garçonne vient aussi de tous les milieux, sauf les milieux catholiques et conservateurs. On les retrouve autant dans les classes ouvrières que bourgeoises ou moyennes… On estime qu’entre 1920 et 1925, près de la moitié des femmes portaient les cheveux courts!

La garçonne et le féminisme.


Madeleine Pelletier, une « butch »

Il est toujours surprenant d’entendre que la garçonne, aujourd’hui symbole de la libération de la femme, était en fait dénoncée et détestée par bon nombre de féministes en 1920. En effet, la garçonne est souvent méprisée, car considérée comme frivole, stupide et coquette. On ne lui accorde que peu de crédit et même dans l’art on ne s’intéresse à elle que tardivement. Mais pourquoi cette haine ? C’est un résultat assez simple : en réalité, les milieux anti-féministes accusent les féministes de corrompre les mœurs de la société et de pervertir les femmes et les jeunes. Pour se défendre contre ces accusations, les féministes répondent que leur mouvement et l’égalité hommes-femmes ne menacent pas les spécificités de chaque sexe, c’est-à-dire, aussi, le vêtement. Les milieux féministes mettent aussi l’accent sur l’égalité des droits, sans nécessairement l’accompagner d’une émancipation sexuelle : on veut surtout le droit de vote en 1920 (droit qui ne viendra qu’en 1944 !). La garçonne, aux yeux de ces féministes, participe donc à corrompre les mœurs et ralentit l’obtention du droit de vote, car « ridiculise » la lutte pour l’égalité en droits.
On peut cependant souligner des exceptions comme la féministe et avocate (une des premières en France !) Madeleine Pelletier qui milita très longtemps contre l’éducation différenciée pour les hommes et les femmes (elles apprennent la couture et eux l’escrime, par exemple) qui est, au contraire, pour une virilisation de la femme (comme on peut le voir sur la photo ci-dessus).

Les mythes et les fantasmes autour de la garçonne :

La garçonne ne laisse pas indifférent : entre rejet et fascination, elle déchaîne les passions. Elle représente le relâchement des mœurs après la guerre et la recherche d’expériences sexuelles extrêmes, homosexuelles ou non… On peut relever avec une touche d’humour les débats autour du développement du bouton pression qui encouragerait les femmes à avoir des expériences sexuelles puisque cela permet d’enlever ses vêtements plus rapidement…
On accuse la garçonne d’être à l’origine du développement de l’homosexualité masculine, on pense qu’elles contaminent par leur vice le reste de la société (par exemple le Dr Pierre Vachet qui écrit en 1927 L’inquiétude sexuelle, qui dénonce la garçonne comme principale source du vice et de la lubricité de la société). On l’accuse aussi d’égoïsme car, si elle est associée à l’homosexualité, elle ne peut pas procréer, ce qui est contraire à l’intérêt de la France d’après-guerre.
Au-delà du rejet, la garçonne est une vraie source de fascination. Elle fréquente des clubs modernes de jazz où se mêlent garçonnes, femmes noires, lesbiennes, homosexuels… Elles s’enivrent beaucoup, rient fort, pleurent en public. « Un scandale » pour certains. On répand aussi le mythe d’une femme qui utilise abondamment les stupéfiants et la désinhibition sexuelle ainsi provoquée la rendrait nymphomane, ce qui relève assez clairement du fantasme


Une photo du Monocle, le cabaret lesbien fréquenté par des garçonnes. Ce club parisien était connu dans toute l’Europe.

La garçonne fréquente de nombreux lieux emblématiques et des clubs très célèbres comme Le Monocle (photo ci-dessus), qui est un célèbre club lesbien, ou le bal du Ritz où on chante souvent des hymnes lesbiens comme une chanson de Suzy Solidor, une célèbre garçonne et chanteuse de l’époque :
« Ouvre tes bras pour m’enlacer, Ouvre tes seins que je m’y pose, ouvre sur la fureur de mes baisers tes lèvres roses, ouvre tes jambes, prends mes flancs, dans ses rondeurs blanches et lisses, ouvre tes deux genoux tremblants, ouvre tes cuisses, ouvre tout ce que l’on peut ouvrir, dans les chauds trésors de ton ventre, j’inonderai sans me tarir, l’abîme où j’entre ».
La lesbienne dans les années 20 est souvent une garçonne, mais la garçonne n’est pas toujours une lesbienne, et loin de là.

L’avenir de la garçonne.

Au final, si la garçonne a joué des évidences traditionnelles sur les normes de genre en effaçant de son corps les attributs féminins les plus forts (seins, hanches, cheveux…), elle est vite devenue une « valeur de mode », entraînant aussi dans son sillon l’homosexualité, « à la mode » dans les années 20. C’est une figure complexe qui a été beaucoup caricaturée, stylisée, décriée ou idéalisée selon les milieux…
Mais elle a surtout été détruite avec Pétain dans les années 40, où on retourne aux valeurs traditionnelles de la féminité. Le port du pantalon est une véritable déclaration de guerre au régime de Vichy : on veut des formes, de l’opulence une « bonne mère »… En témoigne la mode des années 50, juste après la guerre, où ce sont à nouveaux les seins volumineux et les femmes plus rondes qui sont mises en valeur.
Dans les années 70, on redemande la liberté vestimentaire dans les milieux féministes en brûlant son soutien-gorge. Mais les années 2000 connaissent un revirement de situation et, aujourd’hui, on est à l’heure des implants mammaires et des wonder-bra…
Cependant, l’héritage de la garçonne est toujours en partie présent, la femme peut porter le pantalon sans être inquiétée et les cheveux courts sont aussi généralement acceptés. Mais une remise en cause plus profonde de la « normalité » qu’on associe à chaque sexe est, à mon avis, nécessaire pour permettre aux individus d’exister pleinement sans avoir à se soumettre à des normes du beau et de ne pas se contenter d’une demi-mesure en se disant que « ça suffit comme ça ».


Louise Brooks, une des premières actrices américaines à porter les cheveux courts.

Caesonia

6 réflexions sur “Les Garçonnes, femmes libres ?”

  1. Passionnant ! Je ne connaissais pas du tout – mais alors vraiment pas du tout – ce sujet et j’ai appris plein de choses 😀
    Maintenant, le terme « garçonne » évoquera pour moi autre chose qu’une simple coupe de cheveux huhu

     
  2. Fourchette

    Salut @Caesonia très bon article!! Petite question juste, cette citation « La garçonne ne laisse ainsi pas indifférent ; entre rejet et fascination, elle déchaîne les passions » est de toi ? Merci beaucoup

     

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