« Tête de mule » mais pas « bonnet d’âne » !

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Tête de mule ! Cette expression est peu flatteuse pour nos amies les mules. Ces équidés, nés de l’union d’une jument et d’un âne, ne sont malheureusement pas reconnus à leur juste valeur. Tentons alors de réparer cette injustice et intéressons-nous à cet animal exceptionnel…

Qu’est-ce qu’une mule ?

La mule est un animal hybride, c’est-à-dire qu’elle est issue du croisement entre deux espèces. En effet, la mule est le fruit de l’amour ou de l’ « union illégitime » (signification latine d’ « hybridation ») entre un âne (Equus asinus) et une jument (Equus caballus). L’hybride entre une ânesse et un étalon est appelé « bardot », cependant la difficulté de mettre bas pour l’ânesse à cause d’un « aussi gros bébé » rend ces hybrides moins communs.

Croisement âne et jument

Un point sur l’hybridation et la stérilité

Comme tous les hybrides, la mule est stérile et ne peut donc pas se reproduire : en effet, seuls des individus d’une même espèce peuvent donner naissance à une descendance fertile. C’est ce point même qui caractérise d’ailleurs la notion d’ « espèce » définie par Buffon dans son ouvrage Histoire naturelle, en 1749 : « Les individus d’une même espèce sont capables de se reproduire entre eux et d’avoir une descendance fertile ; les individus d’espèces différentes sont interstériles ». Cependant, il faut nuancer cette affirmation : en effet, il existe dans la nature des hybrides féconds comme la crocotte, issue du croisement d’une chienne et d’un loup et le cochonglier, issu du cochon et du sanglier.

hybrides

Une question se pose alors : pourquoi les individus d’espèces différentes ne peuvent-ils pas donner naissance à un individu fertile, comme dans le cas des ânes et des chevaux ? Un hybride est fertile si ses parents appartiennent à des espèces dont les chromosomes sont de même type et que leur nombre est le même. Si le nombre et le type de chromosomes ne correspondent pas alors l’hybride sera stérile. En effet, l’hybride ne pourra alors pas produire de gamètes (spermatozoïdes ou ovules selon le sexe) et ne pourra donc pas se reproduire et donner naissance à un autre individu. En effet, si « pas de bras, pas de chocolat ! », pas de gamète, pas de descendance !

Le cas de la mule

Les ânes et les chevaux n’ont pas le même nombre de chromosomes. L’âne (Equus asinus) possède 62 chromosomes soit deux jeux de 31 chromosomes. Le cheval (Equus caballus) possède 64 chromosomes soit deux jeux de 32 chromosomes. Chacun possède deux types de cellules : des cellules diploïdes qui contiennent deux jeux de chromosomes (62 pour l’âne, 64 pour le cheval) et des cellules haploïdes (les gamètes) qui contiennent un jeu de chromosomes (31 pour l’âne et 32 pour le cheval). Lors du croisement, l’âne donnera des gamètes contenant 31 chromosomes qui s’associeront à ceux du cheval qui contiennent, quant à eux, 32 chromosomes. L’hybride est issu de l’association d’un gamète mâle (spermatozoïde provenant de l’âne) et d’un gamète femelle (ovule provenant de la jument) : l’hybride possède donc 31 chromosomes + 32 chromosomes, ce qui nous fait (… préparation mentale… calcul intense… surchauffe cérébrale… attention, résultat…) un total de 63 chromosomes. C’est un nombre impair de chromosomes, on parle alors d’ « anaploïdie ».

Ce nombre impair pose donc problème lors de la méiose. Cette dernière est l’étape qui permet de passer d’une cellule à deux jeux de chromosomes, c’est-à-dire de passer d’une cellule contenant un jeu de chromosomes issu du père et un jeu de chromosomes issu de la mère, à deux cellules contenant chacune un seul jeu de chromosomes, soit du père soit de la mère. Pendant la méiose, les chromosomes s’associent en paires de chromosomes homologues : c’est à dire des chromosomes semblables qui vont s’apparier. La mule possède des chromosomes issus de l’âne et de la jument : ces chromosomes ne sont pas assez similaires entre eux pour s’apparier. De plus, on ne peut pas associer en paires un nombre impair de chromosomes ! En effet, le soixante-troisième chromosome, le pauvre, se retrouve tout seul : la méiose n’a pas lieu. Pas de méiose, pas de gamète ; pas de gamète, pas de bébé mule ; pas de bébé mule, pas de bébé mule !

Mais rassurez-vous, si la mule ne peut pas procréer, son méli-mélo de chromosomes ne l’empêche pas de vivre en bonne santé. En effet, les cellules autres que les gamètes (les cellules somatiques) ne sont soumises qu’à la mitose. La mitose donne, à partir d’une cellule, deux cellules filles identiques entre elles et identiques à la cellule mère : la cellule mère contenait deux jeux de chromosomes et les cellules filles obtenues contiennent elles aussi deux jeux de chromosomes. Dans le cas de mule, une cellule normale contient les deux jeux de chromosomes, un de 31 et un de 32. Aucun appariement n’est nécessaire entre chromosomes homologues. Notre soixante-troisième chromosome peut donc prendre part à la fête, et la mitose se réalise.

Oui, mais ce soixante-troisième chromosome ne vient-il pas justement jouer les trouble-fête ? Eh bien, dans le cas de la mule, non. En revanche, dans certains cas, un chromosome supplémentaire est mauvais pour l’individu comme c’est le cas de la trisomie 21. Le soixante-troisième chromosome en plus ou même le soixante-quatrième chromosome qui manque à l’appel ne causent pas de problème à la mule.

Vigueur d’hybride ou hétérosis

Un hybride possède souvent des caractéristiques supérieures à celle de ses parents : c’est le phénomène d’hétérosis ou vigueur d’hybride. L’hybride est plus « vigoureux » que chacune des espèces parentes : elle hérite des meilleurs traits. Par exemple, pour une plante, avoir de larges et longues feuilles permet d’optimiser la photosynthèse, car la surface de la feuille est grande. Croiser une plante X qui a de longues feuilles avec une plante Y qui en a des larges permet d’obtenir, si le phénomène d’hétérosis se réalise, un hybride avec de longues et larges feuilles et donc une plante avec des caractéristiques supérieures à celles de ses parents. C’est notamment pour cela que l’hybridation est utilisée dans l’agriculture à la fois pour les animaux et pour les végétaux, car cela permet d’obtenir des espèces plus productives.

Le cas de la mule

Dans le cas de la mule, on peut parler d’ «hétérosis utile». Eh oui ! La mule n’est pas là que pour faire joli : elle est très utile pour les travaux agricoles et le travail de bât notamment. Ses caractéristiques supérieures à celles de l’âne et du cheval sont des atouts pour le travail qui lui est demandé.

De l’âne, la mule hérite son intelligence, sa force, son endurance et sa persévérance. Et de la persévérance, il lui en faut pour survivre aux sobriquets et autres « têtes de mule », elle qui est bien moins populaire que ses deux parents. Ne sortez pas tout de suite les violons, car la mule s’en sort tout de même !

Du cheval, elle possède, les capacités athlétiques, la vitesse et la beauté, bien qu’un âne aussi soit mignon tout plein ! Elle est aussi 30 % plus forte que le cheval pour la traction et le portage. De même, la mule est économique et en temps de crise, ne renions pas cet aspect ! En effet, elle mange moins que le cheval pour des tailles similaires. Elle est plus résistante aux maladies et, de façon générale, plus robuste. La mule ne vous mettra donc pas à sec, d’autant plus qu’elle a moins besoin de boire et résiste mieux aux fortes températures. Son espérance de vie est plus longue, allant de 40 à 50 ans. Elle peut travailler jusqu’à 30 ans, alors que nos amis chevaux sont déjà à la retraite à cet âge-là !

mulet

Mais ce qu’il faut surtout retenir de la mule, c’est son caractère : elle a un sacré caractère ! Et en ce sens, elle mérite l’étiquette de « tête de mule » : en effet, cet animal doit avoir pleinement confiance en son propriétaire pour être à son écoute. Le propriétaire devra donc multiplier les interactions avec son animal : caresses, promenades, sessions de travail. La mule est en effet très sociable. Une fois sa confiance acquise, vous aurez son obéissance : plus besoin de l’amadouer avec des carottes ! Cet équidé est aussi persévérant, courageux et surtout intelligent.

Intelligence de la mule

La mule, têtue peut-être, est plus maligne que ses deux parents âne et cheval. En effet, une expérience réalisée en 2008 a justement permis de mettre en évidence leurs capacités cognitives, c’est-à-dire leur aptitude à apprendre et à développer leurs connaissances. Cette étude a été réalisée par le Dr Britta Osthaus, Leanne Proops et le Dr Faith Burden.

Ces scientifiques ont testé six ânes, six chevaux et six mules du Donkey Sanctuary à Devon. Parmi les 6 chevaux, il y avait 5 poneys et 1 cheval : les poneys sont en effet de la même espèce que le cheval, Equus caballus. Nos cobayes ainsi choisis, sont donc mis à l’épreuve…

Expérience

Les équidés sont enfermés dans un enclos, au fond duquel sont placés deux seaux, l’un contenant de la nourriture, l’autre non. Devant chacun des seaux, une pancarte est posée sur le sol, une autre est aussi affichée au mur au-dessus du seau. En effet, le cheval sera plus attentif aux objets posés au sol alors que l’âne et la mule, en revanche, sont plus sensibles aux stimuli visuels placés en hauteur.

enclos intelligence mule

Ces pancartes noires et blanches portent des symboles : certains de ceux-ci sont dit positifs et indiquent que le sceau est plein ; d’autres dits négatifs, en revanche, indiquent que le seau est vide. Ainsi pour pouvoir se remplir le gosier, nos chers équidés devaient choisir le bon seau et donc savoir faire la distinction entre les différents symboles dessinés dessus.

affiche positives et négativesseaux et affiches

Les sujets ont été présentés à plusieurs paires de symboles. Dès qu’ils réussissaient à différencier la bonne pancarte (celle qui indique un seau rempli de nourriture) de celle négative (qui indique que le seau est vide), ils pouvaient passer au niveau supérieur et être présentés à une nouvelle paire de symboles. A chaque fois qu’ils choisissaient le bon seau, ils pouvaient prendre la récompense qui se trouvait à l’intérieur.

Nos chers amis à sabots ont donc été notés selon le nombre de paires qu’ils ont appris, le nombre d’essais qu’il leur a fallu pour apprendre une paire de symboles et leur obstination (c’est-à-dire s’ils continuent à aller vers le mauvais seau malgré le fait qu’ils se soient déjà trompés) !

Et c’est là que nos amies les mules se sont démarquées ! Elles ont appris à faire la différence entre plus de paires de symboles que les ânes et les chevaux, et ce, plus rapidement ! En effet, il leur a fallu moins d’essais pour réussir à faire la distinction entre les seaux. Alors, pas si bêtes ces mules ?!

De plus, cette expérience permet de redorer l’image des mules, mais montre aussi que la vigueur d’hybride peut également améliorer les capacités cognitives en plus des capacités physiques.

Les mules vous ont-elles conquis ? L’expression « têtu comme une mule» peut-elle être considérée comme un compliment dorénavant ? Vous étiez déjà des passionnés par la mule ? Faites-nous partager vos expériences et vos anecdotes !

Piiix.

Sources  texte:

Proops, Leanne, Burden, Faith and Osthaus, Britta (2009) Mule cognition: a case of hybrid vigour? Animal Cognition, 12 (1). pp. 75-84.

Chimeras, Mosaics, and Other Fun Stuff, site du The Tech Museum of Innovation

Heterosis and Synergistic Effects , Macroevolution.net

La mule, un animal inclassable, www.chevalmag.com

Mules or Horses – Which are Smarter?, www.suite101.com

Sources images :

Mule

Schemas : Proops, Leanne, Burden, Faith and Osthaus, Britta (2009) Mule cognition: a case of hybrid vigour? Animal Cognition, 12 (1). pp. 75-84.

Crocotte et cochonglier

 

13 thoughts on “« Tête de mule » mais pas « bonnet d’âne » !”

  1. Super article, de quoi changer d’avis sur les mules !
    Je ne doutais pas de leur intelligence mais là je suis assez surprise (:

     
  2. J’aime aussi beaucoup ton article ! Comme le dit Initiale, ça a de quoi faire changer d’avis sur les mules ! Et l’expérience est vraiment édifiante !
    Donc je crois que maintenant, en effet, je vais prendre « têtue comme une mule » comme un compliment et étaler ma science quand on me la sortira héhé

     
  3. cléclème

    J’arrive après la guerre mais super article ^^
    Juste les explications sur la méiose et la mitose qui sont un peu fantasques 😛 mais sur la mule c’est bien expliqué ! Merci pour elles !

     
  4. J’adore cet animal, le parfait mélange entre deux adorables équidés… Plus tard, j’espère posséder une mule poitevine, le plus beau mulet à mes yeux *.*

     
  5. J’ai un mulet qui est monté et qui se débrouille hyper bien en dressage, equi-fun et saut, il adore que l’on s’occupe de lui et fais preuve de bonne volonté, beaucoup moins têtus que d’autres poneys, il comprends aussi très vite ce qu’on lui demande et le fait le plus possible avec application. J’ai eu plusieurs enfants même qui au début ne voulait pas monter sur mon mulet parce que ce n’était pas un poney et donc moins chic… d autres ont compris que c’est un réel plaisir de travailler avec lui !! cet article est très bien et comme dit plus haut ça fera changer d’avis certaines personnes

     
  6. aprés avoir randonnée pendant 25 ans avec une merveilleuse jument qui passe desormais une retraite paissible , je suis l’heureuse propriètaire d’un petit mulet 1m48 qui me fait decouvrir l’art de la négociation, exit les chevaux pour cette infatigable bestiole qui a l’agilité d’un chat , la force d’un taureau , et la vigilence d’un garde du corps, il a des avis sur tout et le fait savoir…mais quel courage à l’effort, quelle volonté….ce chien de garde n’est pas a mettre en toutes les mains, mais je suis souvent qualifiée de tete de mule, nous sommes , mon mulet et moi , sur la meme longeur d’onde.

     
  7. Je ne doutais pas de l’intelligence de l’âne, mais j’en apprends beaucoup sur les mules ! Super intéressant cet article et l’expérience, impressionnant ! C’est décidé, je veux une jument de trait et une mule plus tard °.°

     
  8. MrsMinette

    Purée, cet article est franchement intéressant !! =O
    Je ne me doutais pas du tout des capacités des mules !! C’est vrai qu’on en parle peu, alors qu’en fait, elles sont des équidés fiables dans toute sorte de domaine. J’ai adoré l’expérience qu’ils ont passé. C’est fou ce que nos amis les animaux sont capables de faire.
    Merci pour le petit cours de génétique, c’était très instructif aussi. Je ne m’étais jamais posée la question, mais c’est une erreur de ma part, parce que la réponse n’est pas évidente du tout !

    Bref, merci pour cet article ! 🙂

     

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