Restrictions d’accès au don du sang en France : où en sommes-nous ?

Notez cet article :

Le don du sang est soumis à certaines conditions pour assurer à la fois la sécurité du patient qui recevra le don, mais aussi celle du donneur lui-même ! Ces conditions évoluent parfois et cet été, une proposition de loi a été avancée sur ce sujet. Je vous propose de revenir dessus et de clarifier qui peut ou ne peut pas donner son sang en France.

Quels sont les critères de base pour pouvoir donner son sang ?

On distingue trois principaux types de dons de sang en France : le don de sang total, le don de plasma et le don de plaquettes. Sauf mention contraire, c’est le don de sang total qui sera désigné dans cet article par « don du sang ».

Pour effectuer un don du sang en France, il faut déjà correspondre à deux critères de base : avoir entre 18 et 70 ans et peser plus de 50 kilos. De plus, il faut être « en bonne santé », c’est-à-dire que vous devez vous sentir bien le jour de votre don. Si vous êtes fatigué ou un peu patraque, ce n’est pas la peine de vous déplacer ! Vous serez recalé à l’entrée, car l’Établissement Français du Sang, chargé des collectes, s’assure de la sécurité du donneur avant tout. Le volume prélevé n’est pas anodin et un don est souvent fatiguant, donc si vous n’êtes déjà pas trop en forme, il est inutile d’en rajouter…

Lorsque vous arriverez sur le site de collecte, après vous être présenté à l’accueil, on vous remettra un questionnaire à remplir avant de voir le médecin ou l’infirmier pour passer en revue vos réponses et déterminer si vous pouvez donner votre sang. Les questions sont variées et une certaine réponse ne signifie pas forcément que vous ne pourrez pas donner : la plupart du temps, la décision est prise au cas par cas par le personnel médical.

Globalement, les questions vont se focaliser sur deux axes principaux : l’état de santé général (pour savoir si vous avez des maladies ou si vous prenez certains médicaments qui peuvent constituer une contre-indication au don), y compris les antécédents, et les risques d’exposition à des agents infectieux (par exemple, le paludisme ou le VIH).

Certaines contre-indications sont à vie : par exemple, quelqu’un qui a été lui-même transfusé ne pourra plus donner son sang. De la même manière, quelqu’un qui a vécu au Royaume-Uni plus de douze mois entre 1980 et 1996 ne peut pas donner son sang, même en 2020.

Cette restriction peut sembler étrange : elle date de l’année 2000 et est liée à l’épidémie de Creutzfeldt-Jakob. Alors, pourquoi la restriction perdure-t-elle pour une épidémie qui date de près de 25 ans ? En réalité, c’est parce que la durée d’incubation de la maladie de Creutzfeldt-Jakob peut être très longue : jusqu’à 40 ans ! Pour éviter tout risque de transmission d’une maladie « dormante », le don du sang n’est pas possible dans ces conditions.

La plupart des critères « de base » sont les mêmes pour tout le monde. Ainsi, tout le monde doit attendre quatre mois après un tatouage ou un piercing (boucles d’oreilles comprises) pour pouvoir donner son sang. Comme ces actes se pratiquent avec des aiguilles, un accident d’exposition à certains agents infectieux, comme les hépatites ou le VIH, est possible, même si cela reste heureusement rare.

Vous vous demandez peut-être pourquoi il faut prendre autant de précautions alors que les poches sont testées pour chaque don. Les tests permettent effectivement de détecter la plupart des agents infectieux, mais il existe pour chacun d’entre eux une période durant laquelle l’infection est silencieuse et ne peut pas être détectée : la fenêtre sérologique. Une nouvelle fois, c’est pour prendre le moins de risques possibles et pour éviter de tomber dans la fenêtre sérologique, ce qui impliquerait de se retrouver avec une poche contaminée qui passerait les tests, que les délais sont mis en place.

Qu’en est-il des risques liés à l’activité sexuelle ?

C’est ici que les critères ne sont plus identiques selon les personnes. Certaines questions restent communes (ou presque) : on vous demande par exemple si vous ou votre partenaire avez eu plus d’un partenaire sexuel dans les quatre derniers mois. Cette question se base sur le même principe que celle concernant les piercings et les tatouages, un nouveau partenaire sexuel étant également un risque de contracter une infection sexuellement transmissible. Toutefois, cette question s’accompagne d’un astérisque qui précise « Sauf pour les relations exclusivement entre femmes ».

De plus, le questionnaire réserve ensuite deux questions aux hommes et une question aux femmes. Il est demandé aux hommes s’ils ont eu un rapport sexuel avec un autre homme dans les quatre derniers mois, puis s’ils ont eu plus d’un partenaire masculin dans ce même laps de temps. Pour les femmes, le questionnaire demande si elles ont eu un rapport sexuel avec un homme qui a lui-même eu un ou plusieurs rapports avec un autre homme, toujours dans les quatre derniers mois.

Jusqu’en juillet 2016, les hommes ayant ou ayant eu des relations sexuelles avec des hommes (raccourci en « HSH ») étaient exclus à vie du don du sang en France, même s’il s’agissait d’un rapport unique ayant eu lieu des décennies plus tôt. Cette restriction a donc été modifiée une première fois il y a quatre ans : l’exclusion à vie est abandonnée au profit d’une abstinence totale de 12 mois. Autrement dit, pour donner leur sang, les hommes ne peuvent pas avoir de relation sexuelle avec un autre homme pendant un an, même s’il s’agit de leur partenaire régulier depuis des années.

Suite à cette première modification, une étude a été réalisée en 2019 pour vérifier que les critères d’accès au don étaient bien respectés et le résultat est très largement positif. Les rares cas de non-respect sont majoritairement dus à une méconnaissance ou une incompréhension de ces critères. De plus, la surveillance épidémiologique a conclu que le risque de transmission du VIH n’avait pas augmenté suite à la législation de 2016. Le ministère de la Santé, à l’époque dirigé par Agnès Buzyn, s’est donc montré favorable à la réduction du délai d’abstinence demandé. Le délai est alors passé de 12 à 4 mois, cette mesure étant entrée en vigueur en février 2020.

Or, en juillet 2020, le projet de loi Bioéthique, qui concerne plusieurs sujets (notamment l’ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes, mais aussi le don d’organes ou la recherche sur les cellules souches), était débattue à l’Assemblée et un amendement concernant une nouvelle évolution des critères de don du sang était proposé par un député PS, Hervé Saulignac.

« Les critères de sélection du donneur ne peuvent être fondés sur le sexe du ou des partenaires avec lesquels il aurait entretenu des relations sexuelles. »

Cet amendement a été adopté lors de la commission spéciale du 1er juillet 2020. Toutefois, ce n’était pas suffisant pour que la mesure soit définitivement appliquée : il fallait encore que le texte soit voté en séance plénière, ce qui n’a pas été le cas. Lors de la deuxième lecture de la loi Bioéthique à l’Assemblée, fin juillet, l’amendement du député Saulignac a été rejeté, jugé « dangereux » par Olivier Véran, l’actuel ministre de la Santé. La législation reste donc la même qu’en février : pour pouvoir faire un don de sang total, les hommes ne doivent pas avoir eu de relations sexuelles avec un autre homme pendant quatre mois minimum.

Pourquoi continuer à faire une telle différence ?

Au mois de juillet, suite à l’adoption du texte en première lecture, des associations ont exprimé leur inquiétude pour la sécurité transfusionnelle. C’est notamment le cas de l’Association Française des Hémophiles (AFH) et AIDES, l’association de lutte contre le VIH. D’après des chiffres de 2010, la prévalence du VIH reste 200 fois plus élevée chez les HSH que chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des femmes. De plus, les HSH représentent 41 % des nouveaux diagnostics de VIH. Ce sont ces chiffres qui inquiètent les associations, qui expliquent vouloir avant tout assurer la sécurité des receveurs.

Le scandale sanitaire du sang contaminé, dans les années 80, est toujours dans les mémoires de ces associations : en pleine épidémie de sida et au tout début des recherches sur le VIH, de nombreuses personnes, principalement des personnes hémophiles, sont contaminées suite à des transfusions de poches de sang sans aucune traçabilité. C’est en 1983 qu’apparaît le critère d’exclusion pour les HSH (à l’époque définitif), mais il faudra attendre quelques années avant qu’il soit appliqué, ce qui a permis à l’épidémie de continuer de se répandre via les produits sanguins.

Populations à risque ou pratiques à risque ?

Les avis sur le sujet sont loin de faire consensus, y compris au sein des associations LGBT. Si SOS Homophobie, par exemple, reconnaît que l’équilibre est difficile à trouver, ce n’est pas le cas d’autres membres du secteur associatif. Pour certains, cette différence de critères est purement discriminatoire et ne devrait pas être basée sur des critères comme « populations à risque » mais plutôt évaluer des « pratiques à risque ».

En effet, et cela va de soi, quel que soit son genre ou son orientation sexuelle, tout le monde est susceptible d’avoir des comportements à risque. Plusieurs enquêtes réalisées auprès de jeunes et d’étudiants ces dernières années démontrent que seulement la moitié des personnes interrogées utilisent un préservatif à chaque rapport sexuel. Ce chiffre tombe à 37 % lorsque leur partenaire prend la pilule. Rappelons que le préservatif (interne ou externe) reste aujourd’hui le seul moyen de protection contre les IST. 70 % des sondés déclarent également ne pas se faire dépister à chaque nouveau partenaire sexuel.

Ces enquêtes mettent en évidence une large méconnaissance du VIH et des mesures de protection : beaucoup de personnes (principalement des jeunes, mais pas que) pensent que l’on guérit facilement du sida aujourd’hui ou que certaines pratiques sexuelles, notamment orales, dispensent d’utiliser un préservatif. Ces deux affirmations sont évidemment fausses : même si les décès dus au sida ont largement diminué dans notre pays, cela reste une maladie grave, qui implique un traitement à vie. Quant à la transmission, elle ne se fait pas que par la pénétration ! Il est notamment possible de contracter le VIH lorsque l’on fait une fellation, c’est pourquoi il est important d’utiliser un préservatif tant que l’on n’est pas dans une relation exclusive avec les tests de dépistage réalisés en bonne et due forme.

Par ailleurs, on pouvait constater plus haut que le questionnaire du don du sang exclut les « les relations exclusivement entre femmes » du délai de quatre mois après un nouveau partenaire. Précisons tout d’abord que cette catégorisation, comme celle des HSH, est totalement cis-centrée et ne prend pas en compte la diversité des identités de genre et des personnes. Il est souvent très difficile pour les personnes trans de savoir dans quelles cases se situer, comme pour beaucoup de choses concernant la santé. Je préfère donc parler ici de relations entre personnes assignées femmes, même si cette formulation n’est pas parfaite.

L’absence de risques de transmission lors d’un rapport sexuel entre personnes assignées femmes est une idée reçue assez fréquente (et donc partagée par le monde médical), et parfaitement fausse ! Effectivement, il y a peu de risques de transmission du VIH mais, d’une part, cela ne signifie pas que le risque est nul et, d’autre part, le VIH n’est pas la seule infection sexuellement transmissible. Par exemple, le papillomavirus (ou HPV), qui peut entraîner un cancer du col de l’utérus, n’est absolument pas incompatible avec un rapport sexuel entre personnes assignées femmes.

Pour limiter tout risque de contamination, le plus important reste donc de se protéger lors des rapports sexuels et de se faire dépister régulièrement. Le don du sang ne doit d’ailleurs pas être utilisé comme dépistage : ce serait mettre en grand danger la sécurité des receveurs.

Une évolution à prévoir ?

Pour l’instant, la situation des HSH face au don du sang est donc restée la même : quatre mois d’abstinence totale demandés, mais ce n’est pas une fatalité pour autant ! D’autres études comme celle de 2019 sont en cours pour évaluer les différences de risques de transmission suite à l’abaissement du délai d’abstinence. L’objectif à terme est de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et de ne plus faire de différence en fonction du genre ou de l’orientation sexuelle. Toutefois, le ministère de la Santé et les associations estiment qu’il faut prendre le temps d’observer les données scientifiques avant de prendre une décision, pour ne pas mettre en péril la sécurité transfusionnelle.

La question de l’égalité des critères pour le don du sang est donc encore en suspens jusqu’en 2022, date à laquelle les résultats des nouvelles études sur la sécurité transfusionnelle seront passés en revue.

Mise à jour du 30 mars 2022

Bonne nouvelle, depuis le 16 mars 2022, les hommes ayant des relations homosexuelles (HSH) ne sont plus tenus de respecter une période d’abstinence pour pouvoir donner leur sang. Un arrêté publié au Journal officiel du 13 janvier 2022 supprime toute référence au genre des partenaires sexuels dans la sélection des candidats au don. Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la loi bioéthique du 2 août 2021, et rend le don du sang accessible à tous sur la base des mêmes critères. Cependant, un nouveau critère est ajouté : le donneur potentiel devra déclarer s’il prend un traitement pour la prophylaxie en prévention ou suite à une exposition au VIH, auquel cas il devra reporter son don quatre mois plus tard. Le questionnaire préalable permet également d’identifier des comportements à risque, incompatibles avec un don du sang (multipartenaires, consommation de drogues…), mais l’orientation sexuelle n’est plus mentionnée.

Charlie P.

Sources texte :

Mutualistes.com
Actu.fr : 12
AFH Asso.fr
Plaquette « Tomber la culotte » par l’ENIPSE
Questionnaire officiel de l’EFS
Federation-lgbt.org
Solidarités-santé.gouv.fr
Tetu.com
Huffingtonpost.fr
Humanite.fr
Komitid.fr
La nouvelle république.fr
Le dauphiné.com
Le figaro vox.fr
Le nouvelliste.ch
Le parisien.fr
Pourquoi docteur.fr : 12
RTS.ch
Santé publique france.fr
Sida info service.org
Tout sur la transfusion.com
Vie publique.fr

2 réflexions sur “Restrictions d’accès au don du sang en France : où en sommes-nous ?”

  1. Article intéressant et bien écrit ! C’est vrai qu’il vaut mieux cibler des pratiques à risques : rapport sans protection avec un nouveau partenaire, dépistage trop ancien ou trop récent… Et ce peu importe qui on est 🙂
    Le critère de poids est un peu exclusif aussi, ma mère a dû arrêter de donner alors qu’elle était en pleine forme et qu’elle avait toujours fait moins de 50kg.

     
  2. Bonjour, je tenais à vous féliciter pour cet article informatif sur les restrictions d’accès au don du sang en France. Vous avez su expliquer les différentes règles en vigueur de manière claire et concise. Cependant, je me demandais s’il y avait des mouvements ou des initiatives pour faire évoluer ces restrictions afin de permettre à plus de personnes de donner leur sang. Qu’en pensez-vous ? Merci encore pour votre travail et votre engagement.

     

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut