Dans le paysage musical français, un collectif est en train de se tailler la part du lion. Tous les médias en parlent, malgré la relative discrétion de ses membres. Son nom : Fauve. Cela ne vous évoque rien ou peut-être que vous en avez déjà entendu parler, mais vous ne savez pas ce qui se cache derrière ? Si tel est le cas, lisez l’article qui suit.
Fauve : un « corp »
Fauve est constitué d’une bande d’amis de longue date, qui avaient déjà monté d’autres groupes avant pour le plaisir. Et puis, finalement, ils ont eu besoin d’un exutoire, d’un endroit où exprimer leurs sentiments, d’une thérapie de groupe, en somme. C’est de là qu’est né Fauve, entre 2010 et 2011, en région parisienne.
Il ne s’agit pas à proprement parler d’un groupe, mais d’un collectif artistique ouvert, un « corp ». Le noyau est constitué de cinq membres permanents, à savoir quatre musiciens (un chanteur, un guitariste, un bassiste et un batteur) et un vidéaste : Quentin Postel, Pierre Cabanettes, Simon Martellozo, Stéphane Muraire et Nicolas Dardillac. Autour d’eux gravite une vingtaine de personnes, qui forment Fauve CORP, le collectif. Ceux-ci participent ponctuellement ou de façon permanente au projet Fauve, que ce soit en termes de communication ou de contribution artistique (textes, photographies, etc.). Le collectif est ouvert à tous ceux qui se retrouvent dans les idées et les sentiments portés par Fauve. Le corp reçoit d’ailleurs de nombreux textes par mail, dont ils s’inspirent.
Les 5 membres principaux de Fauve
Le style musical de Fauve n’est ni du rock, ni du rap, ni du slam. Les membres qualifient leur musique de « spoken word », un style où la véritable musicalité réside dans les mots et dans leur sens, et non dans les mélodies qui portent les textes. Par exemple, Léo Ferré excellait dans le genre.
Sur scène, les quatre musiciens restent dans l’ombre, préférant mettre en avant leurs chansons et les vidéos les accompagnant. Ils n’aiment pas signer des autographes et ne veulent pas passer à la télévision. Dans les interviews qu’ils donnent pour des journaux ou à la radio, jamais l’un d’eux ne parlera en son nom propre. Vous n’entendrez donc pas qu’untel pense ceci, un autre cela. Non, Fauve est un collectif et ses musiciens ne souhaitent pas être sur le devant de la scène. Volonté de s’envelopper de mystère et de rester dans l’anonymat ou réelles pudeur et modestie ? Les deux, si on en croit cette interview donnée par Fauve à RAGEMAG : « Se trouver dans la posture de pouvoir signer un autographe, où est la légitimité ? Ça va pas avec FAUVE. On est des mecs normaux. […] À la base, le fait de pas se montrer c’est de la pudeur, parce que quand tu as des textes très personnels, qui nous touchent tous à différents niveaux, t’as pas envie de montrer ta tête. […] Le but c’est de cracher un truc, d’extérioriser quelque chose, parce qu’on en a besoin et que derrière, personne ne vienne nous voir en nous jugeant. C’est pour ça qu’à la base on ne se montre pas, car on ne veut pas qu’on associe nos textes à des gens. »
Fauve : un collectif porteur d’un message
Adepte du spoken word, Fauve met l’accent sur les textes et non sur les mélodies. La musique du collectif est donc très dépouillée, avec des riffs* simples et peu présents. Cependant, ils soutiennent des textes riches et travaillés. Les métaphores côtoient les vulgarités et les envolées lyriques sont ponctuées de mots crus. Les textes se veulent percutants, porteurs de sens et de sentiments. Toutes les chansons sont en français, afin d’accomplir au mieux la volonté du collectif : être une thérapie. « FAUVE, c’est toutes les séances de psy que t’as pas. ».
Les thèmes abordés sont ceux de la vie quotidienne, mais les textes témoignent surtout du mal-être d’une génération, perdue et dégoûtée dans cette société nauséabonde qu’est la nôtre. À l’heure où l’individualisme règne, Fauve veut rassembler ceux qui se sentent écartés du chemin ou différents, qui ne croient plus en l’égalité. C’est pourquoi Fauve a choisi d’associer à son nom le signe « ≠ ». Leur nom aussi est très symbolique. En effet, il fait référence au film franco-italien « Les Nuits fauves » de Cyril Collard, sorti en 1992, où Jean, le personnage principal, est séropositif. L’analogie est aisée : Jean se bat contre la maladie, Fauve se bat contre le « blizzard », métaphore de tout ce qui empoisonne nos vies. Tel un lion en cage, Fauve se débat dans une société qu’il n’approuve pas, se bat avec rage contre les inégalités et l’ennui.
Certains critiques les jugent dépressifs et démoralisants, mais les membres du collectif leur répondent qu’ils ne les comprennent pas. Certes, dans leurs chansons, le constat est dur et amer, mais il est criant de vérité. De plus, Fauve prône sans cesse la solidarité et l’entraide, d’où le concept de « corp » et non de groupe. Enfin, un message demeure dans chaque texte : il faut vivre chaque instant et croire en la vie.
Sur son site, Fauve se décrit ainsi :
« FAUVE n’a pas d’ambition hormis celle d’aller mieux et de rester debout.
FAUVE rêve de baiser les rapports humains baisés, de défaire son défaitisme, de haïr sa haine, d’avoir honte de sa honte, d’enculer le BLIZZARD, de réparer ses erreurs et de trouver l’Amour.
FAUVE est désespérément optimiste ≠ »
Fauve : un succès fulgurant
Maîtrisant à merveille les outils de communication du net, c’est par le biais des réseaux sociaux que Fauve s’est fait connaître. Le succès est rapide et, en 2013, le collectif commence à fréquenter les grandes scènes. Fauve remporte le prix iNOUïS lors du Printemps de Bourges en avril 2013, alors qu’aucun disque n’est encore sorti. Le premier EP, « BLIZZARD », sort seulement le mois suivant. À l’époque, le corp reste indépendant et ne signe chez aucune maison de disques, voulant d’abord progresser et gagner en maturité.
Pochette de l’EP « BLIZZARD »
Fin 2013, Fauve annonce qu’un album sortira prochainement. Celui-ci s’intitulera « Vieux frères » et sera divisé en deux parties : l’une est disponible dans les bacs depuis début février et l’autre le sera fin 2014, mais aucune date définitive n’a à ce jour été donnée par le collectif.
Une vingtaine de dates est programmée au Bataclan, à Paris, entre février et mai 2014, et avant même la sortie de « Vieux frères – partie 1 », plusieurs concerts affichaient complet.
Le 3 février 2014 sort donc leur premier album, produit par Warner. « Vieux frères – partie 1 » se classe alors dès sa sortie à la deuxième place des ventes d’albums en France. À ce jour, plus de 80 000 exemplaires ont déjà été écoulés, que ce soit en version digitale ou physique. Vous pouvez télécharger l’album ou le commander en CD ou vinyle via le site web de Fauve (http://fauvecorp.com/musique/).
Pochette de l’album « Vieux frères – partie 1 »
Le collectif est actuellement en tournée dans toute la France et donnera deux concerts en Belgique et au Canada ainsi qu’un autre durant le festival de jazz de Montreux en Suisse. Fauve participera notamment à plusieurs festivals célèbres : les Solidays (le 26 juin), les Eurockéennes (le 6 juillet), les Francofolies (le 13 juillet à La Rochelle et le 20 juillet à Spa, en Belgique) et les Vieilles Charrues (le 17 juillet). Vous retrouverez toutes les dates sur le site web du corp (http://fauvecorp.com/concerts/).
Fauve : mon avis
Étant depuis longtemps dégoûtée par la variété française actuelle et la musique commerciale qui inonde les ondes de radio, lorsqu’on m’a parlé de Fauve, je suis restée sceptique. Un nouveau groupe soi-disant exceptionnel, que les médias s’arrachent ? Il y en a eu des tas et j’en ai souvent été très déçue. « Tu devrais écouter Fauve, c’est… spécial. Mais c’est franchement pas mal ».
Finalement, la curiosité l’a emporté. Après tout, on ne peut juger qu’en connaissance de cause. J’ai commencé par l’EP « Blizzard ». Au début, en tant que musicienne, j’ai fait attention aux mélodies : plates, pas vraiment travaillées, aucune recherche de ce côté-là. Dommage, ai-je pensé, encore un groupe comme on en trouve beaucoup. Et puis, je me suis intéressée à la voix. On ne peut pas dire que les paroles soient chantées, il s’agit davantage d’un texte parlé, ce qui est assez inhabituel. Le chanteur n’a pas une voix formidable, elle est plutôt banale. Mais au-delà de ça, j’ai senti la rage de vivre dans cette voix, l’envie d’extérioriser un trop plein d’émotions.
En prêtant attention aux textes, je me suis rendue compte qu’ils étaient criants de vérité, très percutants. Certes, le langage vulgaire peut choquer des oreilles un peu trop chastes, mais ces paroles crues reflètent à merveille ce que Fauve veut transmettre : ce sont des gens normaux, sans prétention, qui veulent simplement mettre des mots sur leur mal-être.
J’ai écouté plusieurs fois l’EP et l’album « Vieux frères – partie 1 » et je peux comprendre que beaucoup de gens se retrouvent dans les chansons du collectif. Fauve évoque la vie quotidienne, de façon plus ou moins poétique, mais toujours juste. Il est le porteur du message d’une génération entière, la génération Y, celle qui a grandi avec Internet et qui a une redoutable capacité d’adaptation, mais qui se sent à l’étroit dans la société actuelle. Certains ont l’impression d’être la génération sacrifiée, celle qui doit subir les erreurs et l’égoïsme de ses aînés : la crise financière, le changement climatique, la société individualiste, l’insécurité et l’ennui. En clair, le marasme ambiant, « le Blizzard », comme l’appelle Fauve.
Mais Fauve n’est ni défaitiste, ni dépressif. Le collectif veut faire réagir, mais il veut surtout que les gens cassent la monotonie du quotidien et reprennent goût à la vie. Chaque instant mérite d’être vécu, même si la vie est compliquée et parfois injuste. Les textes des chansons sont constamment empreints de cette rage et de cet espoir. Une jolie façon d’éveiller les consciences et de sortir leurs auditeurs du Blizzard.
En conclusion, Fauve est un collectif prometteur et qui se démarque des autres groupes français actuels. Certes, il ne s’agit pas de génies, d’autres artistes sont certainement meilleurs qu’eux sur le plan musical. Mais est-ce vraiment nécessaire qu’ils soient parfaits ? L’important n’est-il pas tout simplement la bouffée d’air qu’ils procurent à toute une génération à la dérive ?
Et vous, êtes-vous prêts à sortir du Blizzard ?
Sonatine
*Riff : séquence rythmique répétée, constituant la base mélodique d’un morceau, notamment de rock ou de jazz.
Sources texte :
Fauvecorp
Wikipedia
Chartsinfrance
Lemonde
Ragemag
Lexpress
Rtl
Sources images :
– Image à la une : justmusic
– Le monde
– Digicult