Le support de la mémoire est encore insaisissable chez l’Homme, mais qu’est-ce que ce concept pourrait signifier pour l’eau ? Les études de Jacques Benveniste dans les années 1980 ont mis en évidence que de l’eau ayant contenu une substance puis ayant été diluée jusqu’à ce qu’il n’y en ait statistiquement plus (ou pas assez pour être active) pouvait conserver les effets du produit initialement contenu.
L’homéopathie est en partie basée sur ce principe de forte dilution. Ces résultats sont-ils une validation de l’homéopathie ou sont-ils non recevables ? Retour sur une controverse scientifique et médiatique !
La mémoire de l’eau : Jacques Benveniste
Jacques Benveniste (1935-2004) était un important chercheur français. Il a en particulier travaillé au CNRS et à l’INSERM (deux organismes de recherche scientifique). C’est en 1971 qu’il a gagné en renommée, après avoir découvert un facteur d’activation des plaquettes sanguines, impliquées dans la coagulation.
Grâce à cela, il s’est forgé une réputation mondiale en tant qu’allergologue spécialiste de l’immunologie. Il a d’ailleurs intégré le Collège International des Allergologues en 1978.
Il est entré à l’INSERM en 1973 et a occupé le poste de directeur d’une unité de recherche entre 1981 et 1993. Il a en particulier signé un contrat avec les laboratoires homéopathiques Boiron pour financer des recherches sur les hautes dilutions.
C’est à la suite de ces recherches qu’il a publié en 1988 ses travaux sur la « mémoire » de l’eau dans la revue scientifique Nature.
La mémoire de l’eau : expérience et résultats
Afin de réaliser ses recherches sur les hautes dilutions, Jacques Benveniste utilise des cellules sanguines, les basophiles, qui sont un type de globule blanc. En tant qu’éminent allergologue, c’est naturellement que le chercheur s’est dirigé vers des cellules impliquées dans les réactions allergiques. En effet, lors d’une réaction allergique, les anticorps produits vont stimuler ces basophiles qui vont « dégranuler », c’est-à-dire libérer les granules d’histamine qu’elles contiennent.
C’est ce phénomène qui est suivi expérimentalement pour étudier les effets de l’anticorps même à très haute dilution. Pour visualiser le phénomène, les cellules sont colorées en bleu et les granules d’histamine en rouge : après la dégranulation, les cellules apparaissent en bleu sans points rouges et peuvent être comptées.
Les globules blancs ont été mis en contact avec un anticorps qui provoque la dégranulation. Les chercheurs comptaient le nombre de globules blancs ayant dégranulé à différentes concentrations en anticorps pour savoir si la dilution influence ce phénomène : la quantité d’anticorps est-elle proportionnelle au nombre de globules blancs dégranulant ? Faut-il une dose minimale d’anticorps pour provoquer la dégranulation ? Une solution très diluée en anticorps peut-elle encore provoquer la dégranulation ?
Pour répondre à ces questions, l’expérience a été réalisée « à l’aveugle ». Les chercheurs comptant les cellules ayant dégranulé ne savaient pas de quelle dilution il s’agissait et ne pouvaient pas être influencés par l’attente d’un résultat particulier. C’est ensuite un expérimentateur indépendant, connaissant les dilutions, qui étudiait les résultats pour en tirer des conclusions.
Statistiquement, au-delà d’une dilution au 1/1014, il n’y a plus que de l’eau dans la solution et plus aucun anticorps. Entre chaque dilution, le mélange était soumis à des secousses intenses.
Les résultats obtenus par l’équipe de Jacques Benveniste concluent que malgré de très hautes dilutions (dans lesquelles statistiquement il n’y a plus aucune molécule d’anticorps), l’effet est toujours présent : les globules blancs dégranulent.
Les résultats indiquent aussi que la dégranulation varie au cours des dilutions, avec une certaine rythmicité, comme le montre l’illustration suivante :
L’interprétation de Jacques Benveniste concernant ces résultats est que l’eau conserve une trace des molécules qu’elle a contenues : c’est la mémoire de l’eau.
La mémoire de l’eau : critiques
Les résultats obtenus par Jacques Benveniste vont tellement à contre-courant de ce qui s’entendait jusqu’alors que les critiques ne se font pas attendre…
La mémoire de l’eau : la revue Nature, pas sûre ?
Ce séisme scientifique est initié par Nature, une revue très sérieuse qui prend beaucoup de précautions avant d’autoriser la publication d’un article, comme le faire lire par plusieurs scientifiques avant de le publier. Dans le cas de celui de Benveniste, la revue a publié ces résultats en précisant que c’était pour faire preuve d’ouverture d’esprit, mais qu’elle les considérait comme incertains.
En plus de cela, Nature a exigé une contre-enquête menée par trois experts : un physicien, un expert en fraudes scientifiques ainsi qu’un magicien (il avait pour mission de repérer des trucages qui auraient été utilisés pour obtenir ces résultats). Cette enquête n’a révélé aucune fraude.
La mémoire de l’eau : un protocole expérimental contesté
D’autres critiques concernent le protocole expérimental utilisé, qui semblait non reproductible : en utilisant la même démarche, les résultats obtenus par d’autres équipes de recherche étaient plutôt aléatoires. Tandis que certaines arrivaient aux mêmes conclusions, d’autres n’obtenaient aucune réaction des globules blancs.
Cependant, des chercheurs ayant travaillé avec Benveniste ont affirmé que leur protocole de 1988 n’avait pas été strictement respecté lors des tests de reproduction. De plus, d’autres protocoles ont pu donner le même résultat qu’eux.
La mémoire de l’eau : conflit d’intérêt ?
Les valeurs de l’éthique scientifique exigent une attitude désintéressée des chercheurs. Or, c’est le laboratoire Boiron qui finance en partie les recherches de Jacques Benveniste. Cette société pharmaceutique ayant des intérêts dans l’homéopathie aurait pu attendre des résultats confirmant l’efficacité de cette dernière, comme ceux obtenus par le chercheur. Ceci est considéré par plusieurs scientifiques comme un conflit d’intérêt.
Cependant, les partenariats avec l’industrie pharmaceutique sont courants pour financer les recherches et n’entraînent pas pour autant un conflit d’intérêt.
La mémoire de l’eau : l’avis des physiciens
Il faut noter que la majorité des critiques formulées à l’encontre de Benveniste proviennent de physiciens ou de chimistes, mais très rarement de biologistes. En effet, ces conclusions ne sont appuyées par aucune des connaissances actuelles sur l’eau.
La première critique formulée concerne le fait que, si cette propriété de l’eau existait réellement, elle devrait être observable dans d’autres conditions. Elle n’a cependant pas été démontrée dans d’autres procédés, plus simples ou plus complexes.
Il est aussi étrange que cette propriété ait été démontrée sur la substance étudiée en particulier. Si elle était réelle, l’eau aurait dû emmagasiner de nombreuses substances en mémoire et donc les exprimer lors des expériences.
Cependant, certains physiciens n’excluent pas la possibilité d’une telle propriété. Ainsi, pour contrer les arguments qui lui sont présentés, Benveniste essaie de proposer une théorie plus solide concernant le support de la mémoire de l’eau : des ondes électromagnétiques.
La mémoire de l’eau : mauvaise interprétation des résultats
Des critiques concernant l’interprétation des résultats ont aussi été formulées.
Ainsi, l’équipe de Jacques Benveniste observe la modification de coloration des globules blancs lorsqu’ils dégranulent. Cependant, la décoloration peut parfois être due à d’autres processus cellulaires que la dégranulation et cette dernière peut aussi être due à d’autres choses que les anticorps.
De plus, le comptage des échantillons au microscope est une technique assez pénible. Les témoins (globules blancs sans anticorps) sont comptés deux fois, mais les échantillons (globules blancs avec anticorps) ne le sont qu’une seule fois. Des protocoles similaires comptés par plusieurs expérimentateurs donnent des résultats très variables au sein d’un même échantillon.
L’image suivante en est la preuve : deux expérimentateurs (ED et FB) comptent chacun deux échantillons (a et b). Nous pouvons remarquer que pour un même échantillon (a ou b) les deux comptages donnent des résultats très différents.
Les variations du nombre de globules blancs ayant dégranulé sont aussi très élevées même au sein du témoin, ce qui décrédibilise le comptage. En effet, il n’y a pas d’anticorps dans les témoins, donc pas de raison de dégranuler : si les globules blancs libèrent quand même les granules d’histamine en grande quantité dans ces conditions, c’est que la présence d’anticorps ne peut être la seule source de dégranulation.
La mémoire de l’eau : présence d’artefacts d’expérimentations ?
Les biologistes ont principalement demandé à Jacques Benveniste de chercher des artefacts d’expérimentation qui pourraient expliquer ces résultats. Il s’agit de paramètres non contrôlés qui peuvent modifier les résultats obtenus. Ces artefacts sont courants dans l’étude de cellules entières (comme c’est le cas des basophiles dans le protocole de Benveniste) qui sont très complexes.
Afin de résoudre ce problème, il aurait fallu passer par l’utilisation de systèmes plus simples que des cellules humaines. Or, Jacques Benveniste n’a pas suivi ces recommandations et a simplement répété les mêmes expériences de nombreuses fois sans jamais chercher d’alternative.
La mémoire de l’eau : impact de la publication dans Nature
Jacques Benveniste avait déjà publié sa théorie sur la mémoire de l’eau dans d’autres revues spécialisées avant son article dans Nature, sans obtenir néanmoins la même visibilité. Cette parution lui a permis d’être largement diffusé par la suite.
Les médias se sont emparés de l’affaire, redoutant de passer à côté d’une révolution scientifique. Cependant, ils ne se basent que sur l’article de Benveniste, sans attendre de débat entre chercheurs alors que c’est normalement le cas, surtout dans le cas d’une telle « découverte ». En effet, normalement les scientifiques répondent aux conclusions publiées via d’autres articles, ce qui n’a pas encore été le cas pour celui de Benveniste lorsque la presse s’empare de la nouvelle.
La mémoire de l’eau : révolution scientifique ou résultats non recevables ?
À la suite de son expérience à l’aveugle avec des dilutions inconnues et de l’enquête menée par les experts de Nature, la revue a conclu « Le phénomène décrit n’est pas reproductible au sens habituel du terme. Nous concluons qu’il n’existe pas d’arguments solides pour affirmer que l’anti-IgE* à haute dilution (à une dilution aussi élevée que 10^120) garde une activité biologique, et que l’idée que l’on puisse imprimer dans l’eau la mémoire de solutés y ayant transité est aussi inutile que fantaisiste » (J. Maddox, J. Randi, W.W. Stewart. « High dilution » experiments a delusion. Nature, 28 juillet 1988, p. 287)
*anti-IgE : Anticorps utilisé pour provoquer la dégranulation
La mémoire de l’eau et l’homéopathie
L’homéopathie est une médecine douce imaginée par le docteur Samuel Hahnemann et basée sur plusieurs principes :
– Tout d’abord la similitude : les substances utilisées pour traiter les patients pourraient (à plus haute dose) provoquer chez une personne saine les symptômes pour lesquels le malade est traité.
– L’individualisation : le traitement homéopathique prescrit prend en compte l’intégralité des symptômes développés et pas uniquement ceux causés par la pathologie. Cela implique donc qu’il faut adapter le traitement à chaque patient et qu’il n’y a pas de soin universel.
– L’infinitésimal : le principe actif est utilisé à des dilutions très importantes, après avoir été soumis à des secousses puissantes et répétées. Ainsi, cette dynamisation permettrait de contrer l’effet de perte d’effet pharmacologique dû aux dilutions.
Le principe de l’infinitésimal a été utilisé par Jacques Benveniste lors de ses expériences, avec des dilutions importantes et des secousses répétées. Le laboratoire Boiron, finançant cette étude, y cherchait donc peut être une validation scientifique de l’homéopathie, remise en question par de très nombreux scientifiques.
Malheureusement, les critiques affirmant que les conclusions de cette étude n’étaient pas recevables n’ont pas permis d’obtenir cette légitimité scientifique.
En conclusion, la mémoire de l’eau a fait parler d’elle dans les années 1980, tant sur le plan médiatique que scientifique. Des recherches complémentaires et l’analyse plus poussée des résultats de Jacques Benveniste ont cependant eu raison de cette théorie qui n’a donc pas réussi à valider l’homéopathie.
Aviez-vous déjà entendu parler de la « mémoire de l’eau » ? Croyez-vous en l’homéopathie ? Pensez-vous qu’elle a une justification scientifique ?
Ursuline
Sources texte :
– Article publié dans Nature : Human basophil degranulation triggered by very dilute antiserum against IgE
– sites.univ-provence.fr : Mémoire de l’eau
– unice.fr : La fumeuse « Mémoire de l’eau »
– pseudo-sciences : Jacques et la mémoire de l’eau, quelques souvenirs personnels
– charlatans.info : La mémoire de l’eau, histoire d’une « découverte » !
– Wikipédia : Mémoire de l’eau – Homéopathie
Sources images :
– Montage de l’illustratrice Solstice à partir d’images prises ici
– Image 4
– Image 5
– Image 6
hé bhein j’en apprends des choses !
Je reste perplexe mais c’était vraiment intéressant !