Révolutions du Jasmin en Tunisie

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Qu’entends-je ? Mais oui, c’est bien une révolution qui bouleverse la Tunisie ! Vous devez penser que j’exagère, mais détrompez-vous, ignorants ! Car la révolution est bien là et a même un nom : les Jasmins. Poétique, n’est-ce pas ? Bref, vous allez avoir droit dans cette Gazette à un dossier entier consacré à la Tunisie, à commencer par un petit récapitulatif de son histoire depuis la décolonisation… 

REPÈRES HISTORIQUES : LA TUNISIE DEPUIS LA DÉCOLONISATION

La déclaration d’indépendance :
Après avoir connu 75 ans de protectorat français (de 1881 à 1956), la Tunisie proclame son indépendance le 20 mars 1956. Même si cette indépendance n’a pas été obtenue sans violence (colons français assassinés, attentats, …), elle n’a rien à voir avec celle de son voisin, l’Algérie, qui subit 8 ans de guerre (de 1954 à 1962) avant de devenir un pays libre.

La monarchie constitutionnelle :
La même année, Habib Bourguiba est élu Premier Ministre, et gouverne sans régner pendant un temps, car les Husseinites, la dynastie régnante depuis le XVIIIe siècle, est toujours au pouvoir. Il réussit à faire passer auprès du souverain un certain nombre de décrets majeurs tels que :
– l’abolition des privilèges des princes et princesses – 31 mai
– l’institution de l’Ordre de l’Indépendance – 18 juillet
– la définition du régime juridique de la nationalité – 2 août
– la mise en place du Code du statut personnel (qui donne aux femmes un droit très rare dans le monde arabo-musulman) – 13 août

La proclamation de la République :
Alors qu’au début de son mandat le Premier Ministre avait une attitude favorable au Roi Lamine Bey, il se positionne rapidement contre lui. Personne n’arrivant à tempérer son discours accusateur, la monarchie est abolie en juillet 1957.
La République est proclamée et Bourguiba en devient le Président. Durant son mandat, la politique de son gouvernement s’articulera autour de trois axes : social, culturel et éducatif.
Des institutions comme la magistrature, l’administration, l’appareil diplomatique, ou la sécurité intérieure et extérieure sont mises en place, le pouvoir des chefs religieux est réduit (même si l’Islam reste la religion d’Etat), l’indépendance monétaire est réalisée (avec la création du dinar tunisien), et enfin l’analphabétisme est combattu.

L’apparition d’un régime totalitaire :
Pendant un an, la Tunisie expérimentera le « socialisme destourien » (de 1962 à 1963). Avec le régime du parti unique, le socialisme est adopté par le conseil national, tout comme les régimes totalitaires apparus en Europe de l’Est après la Seconde Guerre Mondiale. C’est la naissance d’un système autocratique en Tunisie. Fort du soutien total de Bourguiba, le ministre Ben Salah met en application son système économique. Par exemple, il nationalise 850 000 hectares de terre qui appartenaient aux colons français. Mais face à l’échec de la collectivisation (entre autres), Bourguiba se voit dans l’obligation de désavouer complètement Ben Salah et sa politique.

Reprise économique et crise politique :
Après l’échec du socialisme, Bourguiba choisit Nouira, ministre connu pour sa totale opposition au gouvernement précédent. Il réhabilite le secteur privé et redynamise l’économie tunisienne, au cœur des préoccupations dans les années 70. Mais malgré l’efficacité de cette politique dans le domaine financier, ses lacunes se font rapidement sentir du côté social, culturel et éducatif. De plus, le pays s’endette, et il doit rapidement faire face à une crise généralisée. En effet, le monde ouvrier et le monde étudiant se soulèvent et des émeutes auront lieu de 1968 jusqu’à la fin des années 70.

La prise du pouvoir de Ben Ali :
Au début des années 80, les troubles de la précédente décennie et la montée de l’islamisme mènent le pays au bord de la guerre civile. Bourguiba est vieillissant et souffre de problèmes cardiaques, si bien qu’en 1987, le ministre Ben Ali, leader du mouvement islamiste, prend le pouvoir en revendiquant un « coup d’Etat médical ». Ce dernier démocratise le pays en supprimant la présidence à vie, en la réduisant à trois mandats et en limitant l’âge maximum pour se présenter. Plusieurs partis politiques sont légalisés.

Durcissement du régime et premières oppositions :
Il modernise l’économie, qui affiche encore aujourd’hui une certaine prospérité, et préserve le pays des risques que représente l’islamisme. Néanmoins, les promesses démocratiques tardent à se concrétiser : l’opposition n’accède aux élections qu’en 1994, mais Ben Ali demeure l’unique candidat aux élections présidentielles. Lorsque la Ligue tunisienne des droits de l’homme dénonce cette situation politique désastreuse, son président, Marzouki, est emprisonné pendant plusieurs mois. Ce n’est qu’en 1999 qu’auront lieu les premières élections pluralistes (trois candidats), mais Ben Ali est encore réélu.
En 2002, le Président supprime les réformes qu’il avait introduites au début de son mandat, ce qui lui permet de restaurer une sorte de présidence à vie déguisée. Les rares détracteurs de Ben Ali sont sévèrement réprimés au début du siècle, comme par exemple le juge Mokhtar Yahyaoui et l’avocat Mohamed Abbou.

La Tunisie, après une brève période de démocratie, était donc un état autocratique depuis presque 50 ans.

 

LA RÉVOLUTION DU JASMIN 

Progression de la révolte depuis le 18 décembre :
C’est en fait l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, diplômé et pourtant chômeur comme de nombreux jeunes tunisiens, devant la préfecture de Sidi Bouzid (ville du centre du pays), qui marque le début de la révolution du Jasmin.
En effet, le 18 décembre, le mouvement de protestation prend de l’ampleur : plusieurs dizaines de commerçants et de jeunes gens se rassemblent devant la préfecture, et y font un sit-in pacifique pour obtenir une entrevue avec le gouverneur local. La manifestation est réprimée avec gaz lacrymogènes et matraques, et les forces de l’ordre s’opposent aux étudiants lors de violents affrontements. 

Manifestation à Sidi Bouzid le 31.12.10.

À partir du 20 décembre, la révolte se répand dans d’autres villes telles que Sidi Ali Ben Aoun ou Menzel Bouzaiane. Un autre chômeur se suicide et la répression policière fait deux morts.
Le 25 décembre, des manifestations sont organisées à Tunis même.
Lorsqu’il prend finalement la parole, le Président Ben Ali affirme comprendre « la difficulté générée par la situation de chômage » mais dénonce une « instrumentalisation politique ».

Visite de Ben Ali à Mohamed Bouazizi (il mourra des suites de ses blessures). 

Le 3 janvier, manifestations et répressions se poursuivent et gagnent toujours plus de villes : Thala, Bizerte, Kairouan, Souk Jedine, Medenine, Sousse, etc. Elles aboutissent au week-end sanglant, les 8, 9 et 10 janvier. Les autorités comptent 21 morts mais les sources militantes affirment qu’il y en a eu plus de 50. Ben Ali prend la parole pour la deuxième fois et dénonce des « actes terroristes » commis par des « voyous cagoulés ». Il promet la création de 300 000 emplois d’ici 2012.
Le 11 janvier, le gouvernement ordonne la fermeture des écoles et des universités.
Le 12 janvier, une commission est créée pour enquêter sur la corruption et le Ministre de l’intérieur est limogé. On compte au moins 66 personnes tuées par les forces de l’ordre depuis mi-décembre.
Le 13 janvier, Ben Ali s’engage à quitter le pouvoir en 2014, et promet « une liberté totale » en ce qui concerne l’information et l’accès à Internet, et une baisse des prix.
Les manifestants exigent un départ du Président.
Le 14 janvier, une nouvelle manifestation est organisée à Tunis. Les 5 000 participants scandent le nouveau slogan « Ben Ali dehors ».

La manifestation est violemment dispersée.
Vers 16 heures, le gouvernement annonce des élections anticipées. À 17 heures, l’état d’urgence est déclaré. Une heure plus tard, Ben Ali prend la fuite à bord de son avion. Après s’être vu refusé l’asile en France, il part finalement en Arabie Saoudite.

Quelques vidéos : 
Les vidéos filmées durant les manifestations ont contribué à l’amplification du mouvement en circulant sur Internet.

– À Kesserine, les manifestants retirent un portrait géant de Ben Ali d’un bâtiment officiel.

– Affrontement à Kesserine. La police tire à balles réelles.

 

LEXIQUE : 

Huseinites : dynastie tunisienne dont le nom vient de celui de son fondateur, Hussein. Elle régna de 1705 jusqu’en 1957.

magistrature : corps des magistrats.

socialisme destourien : nom donné au mouvement socialiste tunisien (du mot « destour », constitution).

autocratique : se dit d’un régime gouverné par un seul homme qui détient tous les pouvoirs.

limoger : destituer

instrumentalisation : action de se servir de quelque chose pour obtenir ce que l’on veut.

amplification : intensification

 

Tchaïkette

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