Diane Arbus, photographe de la différence

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(« Une des choses que je préfère, c’est d’aller où je ne suis encore jamais allée » )

Enfance

Diane Arbus est une photographe américaine mondialement connue. Née Diane Nemirov en 1924 à New-York, elle est élevée dans une famille juive aisée ouverte sur le monde de l’art (son père devint peintre après avoir été directeur d’une entreprise de fourrure, sa sœur fut sculpteur et designer et son frère remporta le Prix de poésie des Etats-Unis). Pendant son enfance, elle est protégée de la Grande Dépression qui touche les Etats-Unis dans les années 30 et de la misère sociale qui l’accompagne grâce à l’aisance financière de sa famille. En 1941, elle se marie avec son amour d’enfance, Allan Arbus, sans l’accord des deux familles, alors qu’elle n’a que 18 ans. Il lui achète alors un petit appareil photo avec lequel il la photographie prenant des poses de mannequin. Son père les embauche alors dans son entreprise de fourrure pour lancer leur carrière.
En 1946, elle se lance donc avec Allan dans la photographie de mode. Il est photographe et elle est directrice artistique, ils publient dans Vogue, Seventeen ou Glamour, mais ils détestent tous les deux le monde de la mode. Malgré environ 200 pages dans Glamour et 80 pages dans Vogue, ce n’est pas cette période qui va caractériser la carrière de Diane Arbus ni celle qui va lui permettre d’accéder à une reconnaissance mondiale.

Diane Arbus, photographiée par Allan en 1949.

Mise au point sur sa personnalité et son art

Sa vie semble avoir été une vie idéale : née dans une famille aisée, a épousé son amour d’enfance et a eu la possibilité d’exercer un métier créatif avec lui. Pourtant, en 1971, à l’âge de 48 ans, Diane Arbus se suicide en avalant une dose de barbituriques et en s’ouvrant les poignets dans sa baignoire.
Il semble donc important, pour mieux comprendre ses photos, de se plonger un peu dans sa personnalité et les revers de son éducation. Elle était timide et manquait beaucoup de confiance en elle, pensant qu’elle ne méritait pas les compliments qui lui étaient adressés, qu’elle était indigne de les recevoir. Son frère indiqua dans une interview qu’ils étaient privilégiés et protégés étant petits, mais constamment surveillés, ce qui les a rendus peureux et angoissés. Diane Arbus souffrait aussi, de manière épisodique, de crises de mélancolie. Elle-même déclara que dans son enfance, elle avait souffert de n’avoir jamais été confrontée à l’adversité, elle apprenait des choses sans pouvoir les considérer comme provenant de sa propre expérience.

Sa carrière en temps qu’artiste

En 1951, elle décide avec Allan de passer un an en Europe. Tandis qu’il s’applique à perfectionner sa technique, Diane préfère s’intéresser plus à l’objet photographié qu’à la manière de le photographier.
En rentrant de ce voyage, elle s’intéresse de moins en moins à la photographie de mode et décide finalement d’arrêter. Elle laisse ainsi son mari continuer seul dans ce domaine. Elle prend des cours dans un atelier avec les photographes Lisette Model et Alexey Brodovitch. Ce dernier répète souvent lors de ces ateliers « Si vous avez déjà vu quelque chose, n’appuyez pas sur l’obturateur ».


Photographies de Lisette Model.

Les photographies de gens alcooliques et hors-normes de Lisette Model fascinent Diane Arbus. Un ami l’emmène alors voir le film de Ted Browning Freaks au cinéma, qu’elle retourne voir encore et encore. Elle se met alors à fréquenter un cirque itinérant où elle rencontre des cracheurs de feu, un homme à trois jambes et d’autres marginaux. C’est au début des années 60 qu’elle commence à prendre en photo ce qui va la rendre célèbre en tant que photographe et qui va bouleverser les codes de la photographie : les marginaux.

Elle surmonte sa timidité en photographiant ces marginaux, ces « freaks » et ces « weirdos », elle se libère grâce à son appareil qui l’autorise non seulement à les regarder mais aussi à les fixer. Elle rompt avec son éducation qui lui avait appris à ne pas regarder les gens trop différents : les handicapés physiques ou mentaux, les personnes défigurées ou ceux qui sont délibérément différents. Un magicien, ami de Diane Arbus, déclara : « elle était fascinée par les marginaux (weirdos), mais elle n’était pas fascinée par leur étrangeté mais par leur engagement (commitment) dans l’étrangeté ».
Pour Diane Arbus, photographier ces gens c’est écraser la peur. Elle déclarera dans une interview au New Yorker : « La plupart des gens passent leur vie à craindre de vivre une expérience traumatisante. Les freaks sont nés avec leur traumatisme. Ils ont passé leur épreuve dans la vie. Ce sont des aristocrates » (« Most people go through life dreading they’ll have a traumatic experience, » she told a New Yorker staff writer. « Freaks were born with their trauma. They’ve passed their test in life. They’re aristocrats. »).


Photographie d’un groupe de handicapés mentaux.

Elle connaît alors une reconnaissance mondiale dans le monde de l’art, il y a « quelque chose », mais elle a toujours du mal à vendre ses photos. Comme si, malgré le génie contenu dans son art, on n’avait pas envie de voir ses sujets.

Après cette période où elle photographie des marginaux, elle commence un autre travail qui donna naissance a une vive polémique. Elle se met à photographier des gens « normaux » en les rendant semblables à ces freaks qu’elle avait photographié pendant si longtemps. On l’accuse alors notamment « d’enfreakment » c’est à dire de faire passer des gens normaux pour des freaks, des fous, des handicapés et de « tricher » en quelque sorte, en exagérant des traits.
Comme par exemple dans cette photo où le petit garçon ne prend cette expression que parce qu’il est impatient qu’elle prenne la photo en lui disant « mais dépêche toiiiii ! »


Petit garçon à la grenade, 1962.

Je pense cependant que cette photo, même si elle a été prise dans ce contexte, dégage quelque chose qui va au delà de « l’impatience », en ignorant cette part d’exagération, elle révèle quelque chose de profond sur la nature humaine et la questionne, la redéfinit et brouille les frontières entre les « freaks » et les normaux. La photo, même si elle a été prise dans ce contexte particulier de l’exagération, dépasse cette « tricherie » initiale…

La mort de Diane Arbus en 1971 arrive après une période de trouble. Son mari, duquel elle avait divorcé en 1969 mais avec qui elle était restée proche, se remarie. Elle a plus de mal à convaincre les gens de se faire photographier, elle engage de nombreuses « relations d’un soir » avec des inconnus et notamment des sujets qu’elle photographie. Elle ne laisse pas de lettre, pas de coup de fil d’adieux, pas de dernières volontés.

Quelques photos célèbres :


Identical Twins, prise en 1967, cette photographie a inspiré Stanley Kubrick pour son film Shining et il y fait référence dans une scène où on voit apparaitre deux jumelles dans la même position.


A Young man in curler at home on West 20th Street, prise en 1966, fit polémique car le jeune homme est transsexuel, un homme cracha sur cette photo en 1967 au MoMa à New-York.


A Jewish Giant at home with his parents in the Bronx , 1970.

Diane Arbus déclarera à propos de cette photo : « Vous savez comme chaque mère a des cauchemars, quand elle est enceinte, de donner naissance à un monstre ? Je pense avoir ça sur l’expression de cette mère ».

Caesonia

2 réflexions sur “Diane Arbus, photographe de la différence”

  1. Merci pour cet article qui permettra sûrement à beaucoup de découvrir une photographe extraordinaire de sensibilité.

     

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