Mon humaine ne tarit pas d’éloges à mon égard. Lorsqu’elle parle de moi, c’est toujours avec des étoiles dans les yeux et avec beaucoup de joie dans la voix. Si mon histoire ressemble sans doute à celle de beaucoup de mes congénères, elle a su toucher ma bipède en plein cœur. Comment ? Pourquoi ? À vous de le découvrir à travers cet article. Avouez-le, c’est moins compliqué que de courir sur un champ de course. Vous pouvez bien faire ce petit effort pour moi. Je suis convaincu qu’à la fin de cet article, vous aussi, vous m’aimerez énormément.
Présentation de Leader du Nil
Je m’appelle Leader du Nil. Je suis un trotteur français alezan né en 1993, dans le Jura, à la frontière entre la Suisse et la France. Mes éleveurs me destinaient à tirer un sulky et à remporter quelques victoires sur les hippodromes. Tout s’est très bien déroulé à ce niveau-là. De mes 3 ans à mes 7 ans, je leur ai rendu de bons et loyaux services. Je ne sais pas si j’étais particulièrement doué, mais je sais que mes gains totaux s’élèvent à un peu plus de 23 000 francs suisses (soit environ 20 000 euros). Aujourd’hui, vous ne pouvez plus parier sur moi, mais je suis convaincu qu’à l’époque, vous l’auriez fait. Après tout, la jeune femme qui rédige cet article croit dur comme fer en mes capacités de Leader.
Après les courses, la vie ne fut pas tendre pour Leader du Nil
Ma carrière de trotteur touchant à sa fin, mes éleveurs souhaitaient me vendre à la boucherie… C’est comme cela que la plupart des trotteurs finissaient à l’époque. Cependant, mon entraîneur m’aimant beaucoup, il décida de me racheter au prix du boucher et de me vendre à un particulier souhaitant créer un ranch pour touristes à la montagne. J’étais beau, j’étais fort, j’étais puissant. J’étais capable de gravir les plus hauts sommets. C’est ainsi que je quittai mon Jura natal pour prendre la route et me retrouvai avec d’autres chevaux dans des prés. Il paraît que je tapais dans l’œil des quelques visiteurs, mais qu’ils ne pouvaient pas encore monter sur mon dos. En effet, la seule activité que j’avais apprise à faire jusque-là correspondait au fait de trotter droit devant moi, toujours et encore, sans me poser la moindre question. J’embarquais régulièrement mon nouveau propriétaire qui se lassa vite de mes mauvaises habitudes. Dans le but de me transformer en gentil cheval de balade, il me tirait dans la bouche comme un forcené. La douleur devenant insupportable, j’essayais de lui faire comprendre à ma manière que cela ne me plaisait pas du tout, que j’en avais assez que l’on me brutalise de la sorte. Je ruais, je me débattais, je ne me laissais plus approcher. Alors on me qualifia de « cheval sauvage, méchant, bon à rien ». On m’abandonna dans un pré et quand je n’eus plus rien à brouter, j’essayai de m’évader. Alors on me corrigea en m’attachant. Ma phobie des cravaches est certainement liée à quelques autres mauvais traitements.
Une nouvelle vie et une nouvelle carrière pour Leader du Nil
Mon salut vint d’une jeune fille et de son père. Ils cherchaient un compagnon pour leurs juments et leurs poulains. Ils souhaitaient un cheval solide, fort et bien dans ses baskets. Quand ils m’ont vu, ils ont su que je ne pouvais pas rester comme ça, que j’allais y laisser ma peau. Adieu leur rêve du cheval parfait, bonjour le petit trotteur alezan famélique. Pour une bouchée de pain, ils m’achetèrent et m’offrirent la vie que je méritais. Ils prirent le temps de me réapprendre à être un cheval, à être fier, à faire confiance à l’homme. Je ne compris pas très bien ce qui se passait, mais plus jamais je n’eus une barre froide et métallique dans la bouche. Je fis la connaissance de mes nouvelles amies. Malheureusement, n’étant plus vacciné ni vermifugé depuis longtemps – fait que mon ancien propriétaire s’était bien gardé de révéler – je leur transmis une maladie, et si une jument et une pouliche furent suffisamment fortes pour la surmonter, les deux autres décédèrent. On me laissa quelques temps de côté. Les humains savaient que je n’y étais pour rien, mais ils étaient trop tristes et en colère pour pouvoir s’occuper de moi autrement qu’en me nourrissant et, je l’avoue, j’étais plutôt heureux de pouvoir m’en mettre plein la panse dans les prés sans avoir à travailler en retour. Cependant, quelques semaines passèrent et alors que je reprenais du poil de la bête, on vint me déranger. On se mit à deux humains pour m’attraper et, après quelques minutes de panique, je retrouvais non seulement le plaisir d’être chouchouté lors de mon premier pansage, mais on me rappela combien j’étais beau, fort et puissant. Ma nouvelle vie débuta. On me longea beaucoup pour m’apprendre à réguler mes allures et pour me permettre de me remuscler. J’aimais bien mes nouveaux humains. Ils me caressaient, me nourrissaient, me susurraient des mots doux à l’oreille, des mots qui chatouillent votre cœur et vous donnent l’envie de vous surpasser. Cela me demanda de grands efforts d’accepter à nouveau quelqu’un sur mon dos. Je n’avais plus de barre métallique dans la bouche mais les gestes parfois maladroits de ma nouvelle cavalière me titillaient. Elle me pardonnait cependant mes écarts, riait lorsqu’une bâche en plastique me faisait peur et lorsque je m’arrêtais net face à un mouton ou à un âne. Elle me donnait le temps de m’habituer à toutes ces choses bizarres et étrangères. Au bout d’une année de rééducation physique et morale grâce à des petits jeux plutôt sympathiques, elle me fit monter dans un van et m’emmena dans un endroit à la fois apeurant et merveilleux. C’était comme sur les champs de courses ! Plein de chevaux s’ébrouaient, hennissaient et se donnaient sous la selle de leur cavalier. Moi, Leader du Nil, petit trotteur alezan, j’allais devenir cheval de techniques de randonnées équestres de compétitions (TREC). Nos débuts furent compliqués. Je m’excitais pour un rien, je refusais certains obstacles, je faisais de vives embardées et des demi-tours intempestifs. Mais ma cavalière tint bon. L’année suivante, je commençais à prendre goût à ces sorties en terre inconnue. Parcours d’orientation et de régularité et parcours en terrain varié n’avaient plus aucun secret pour nous. Je devenais plus souple et moins peureux. Je me prêtais au jeu avec plaisir. Ma cavalière et moi continuions à renforcer nos liens, et terminâmes ensemble 5e puis 3e des championnats suisses de TREC. À ses yeux, j’étais un cheval d’exception. Enfin, c’est ce que je croyais…
Marrakech, un concurrent de taille pour Leader du Nil
Bientôt, ses visites se firent plus espacées. Et puis… il y avait ce garçon. Comme si j’allais le se hisser sur mon dos. C’était quoi ces bêtises ? Il n’avait qu’à grimper sur le dos de la petite pouliche noire, la fameuse Naranja. Quelle peste celle-là ! Elle était tellement compliquée que tout le monde défilait sur mon dos plutôt que sur le sien. Pourtant, la Franches-Montagnes, c’est bien elle ! Moi, je suis un trotteur. Un cheval de champion. Pas un cheval pour touristes.
Bref, je fis comme si je n’avais pas vu l’anneau scintillant à l’annulaire gauche de ma cavalière… Mais je ne pus ignorer son cadeau de mariage : Marrakech. Un nouveau trotteur, plus grand, plus fort et plus puissant que moi. Une pile électrique. Je dus lui céder ma place de leader non seulement auprès de mes juments, mais aussi dans le cœur de ma propriétaire. C’est lui qu’elle emmenait désormais en TREC.
De nouvelles personnes autour de Leader du Nil
Moi ? Je vis défiler quelques jeunes filles. Elles m’admiraient toutes, et l’une d’elles en particulier. Elle était très jeune et me montait dès qu’elle n’avait pas école, c’est-à-dire tous les mercredis après-midis et les weekends. J’aimais bien trotter avec elle en forêt. Elle était gentille, elle m’offrait plein de carottes. Mais la vie peut parfois être cruelle. Alors qu’elle m’avait lancé en plein galop, qu’elle m’avait laissé les rênes et que je voulais lui montrer que je pouvais filer aussi vite que le vent, elle n’arriva pas à m’arrêter lorsqu’un vélo arriva droit sur nous. Effrayé, je fis un bond de côté, me cabrai et retombai sur ma cavalière. Je rentrai aux écuries les genoux en sang et je ne vis plus ma pensionnaire durant plus d’un an. Nos retrouvailles furent empruntes de beaucoup d’émotion… Tellement de choses avaient changé entre-temps.
Coup de cœur pour Leader du Nil
Après cet accident, une autre jeune fille prit soin de moi. Elle semblait presque aussi triste que moi. Était-ce lié au départ de Vega ? J’avais bien remarqué qu’elle s’en occupait beaucoup avant de s’intéresser à moi et qu’elle était venue tous les jours quand il était blessé, en vain. La blessure de Vega était trop profonde et trop vilaine pour qu’il puisse rester parmi nous… Elle me soigna de manière machinale, sans y mettre vraiment de volonté. Et moi, je n’avais plus envie de donner tout mon amour à un humain. On m’avait frappé, tiré fort dans la bouche, relégué au second plan et enlevé ma petite cavalière… Et voilà que cette jeune fille voulait me monter. Elle rêvait ou quoi ? En plus, ma propriétaire montait Marrakech. Il était hors de question qu’une nouvelle personne grimpe sur mon dos. Elle allait voir ce qu’elle allait voir. Enfin, j’ai compris qu’elle était plus têtue que moi… ou tenace, plutôt. Oui, c’est ça, cette jeune fille ne voulait pas lâcher l’affaire. Elle ne me fit pas mal, mais je compris que j’avais intérêt à ne pas trop me faire remarquer négativement. En plus, ma propriétaire gardait un œil sur moi. Les balades avec Marrakech, ma propriétaire et cette jeune fille se poursuivirent jusqu’au jour où cette dernière me sortit seule. Ah, elle ne faisait pas la fière. Je ne sais pas combien de fois elle contrôla mes protections, la longueur des étriers, l’ajustement de la sangle, le règlement du hackamore. Elle allait me monter, oui ou non ? Décidément, elle avait bien besoin d’un petit coup de pouce. Alors je décidai de lui montrer que j’étais beau, fort et puissant. Elle le comprit dès nos premières foulées seuls ensemble. Elle exultait comme une princesse à la fin d’un conte de fées. Son cœur battait la chamade, ses mains ne se décollaient plus de mon garrot… et elle me susurrait des mots tendres, des mots qui emballèrent mon cœur. Coup de cœur, coup de foudre… Nos promenades se firent plus longues, plus audacieuses. J’obsédais ses pensées et je l’accueillais en galopant à travers champs pour la rejoindre dès que je l’entendais m’appeler à pleins poumons. Je devins sa bouteille d’oxygène, elle devint mon moteur. On s’amusait beaucoup tous les deux, et je me prêtais à tous les jeux qu’elle me proposait.
Bientôt, ma nouvelle amie et moi nous retrouvâmes face à Marrakech et à ma propriétaire en TREC. Nous avions soif de victoire. Nous nous atteignîmes régulièrement sur le podium, parfois juste devant ou juste derrière Marrakech. Qu’importe. Ma cavalière était si fière de moi.
Un jour, je la sentis si heureuse que je crus que son cœur allait exploser. Je sus que désormais plus rien ne nous séparerait. Elle vint me voir tous les jours, m’apportant paroles douces et friandises. Désormais, ma propriétaire, c’est elle.
Un nouveau combat pour Leader du Nil
Cependant, ses larmes coulèrent à nouveau à peine deux semaines plus tard, lorsque son téléphone retentit. Au bout du fil ? Une amie cavalière pour lui annoncer une terrible nouvelle. Une jeune fille s’était amusée à nous sortir, Naranja et moi, par un temps tempétueux. Elle voulait monter la jument et prendre un cheval calme à la corde pour rassurer la petite terreur noire. J’avais glissé sur une plaque de glace, j’avais pris peur et j’étais rentré au galop à l’écurie… En face, arrivait une voiture. Le fait qu’elle roulait lentement nous a sûrement sauvés, Naranja, sa cavalière et moi. Je fus conduit dans une clinique très spéciale où on m’abrutit de médicaments pour me soigner. Ma cavalière montait la garde à côté de moi, me suppliant de guérir. Si physiquement je n’étais pas trop atteint, dans ma tête tout devint flou. Le moindre bruit de moteur m’horrifiait. Il m’était impossible de monter dans un van. Ma propriétaire contacta alors un monsieur assez mystérieux. J’avais envie de lui faire confiance. Il aida mon humaine à me redonner foi en moi, à me donner l’envie de me battre. Il la conseilla, lui dévoila certains de mes talents cachés, lui en apprit plus sur mon caractère. Il s’effaça lorsque je fus complètement rétabli. Ma cavalière et moi pouvions à nouveau emprunter les sentiers que nous connaissions si bien : ceux des chemins de forêts et de montagne, ceux du bonheur.
Une retraite bien méritée pour Leader du Nil
Cependant, les stigmates du passé ne pouvant s’effacer, les années commençant à me fatiguer, ma cavalière prit la décision de ranger ma selle et mon hackamore et de m’offrir la retraite que je méritais. Ce fut un coup dur pour moi, habitué à tout lui donner, à en faire toujours trop. Aujourd’hui, je me suis fait à cette nouvelle vie de papi des prairies. Tous les jours, je m’amuse à remettre mon ami Zénith à sa place, à courir après le vaillant Kiwi et à faire le beau auprès de Naranja. Il paraît que bientôt, un nouvel ami pointera le bout de son nez. Mais ma véritable amie, c’est celle qui m’accompagne tous les jours, me brossant, me promenant en main, jouant en liberté avec moi et me répétant à l’oreille combien elle est attachée à moi. À tel point qu’elle en rédige un article à mon sujet en me donnant la parole.
Je suis convaincu que vous aussi vous connaissez un cheval qui fait votre bonheur et que vous partagez avec lui une aventure fabuleuse. Si vous souhaitez faire part de votre histoire, n’hésitez pas. Je suis friand non seulement de carottes, mais aussi des belles aventures que mon humaine susurre à mon oreille.
Pour Leader, Renart
Superbe histoire, très touchante ! Merci pour l’article 🙂
Ton article est une merveille. Merci pour le partage de ton histoire
Ton histoire est très touchante beau Leader. Ta propriétaire doit être aux anges d’avoir un Loulou aussi beau et adorable.
Plein de bisous Renard et superbe article. ?
Vraiment très bien écrit, du point de vue de Leader c’est encore plus touchant !
Je ne ferai pas dans l’originalité : quelle histoire super touchante !!
Je ne pensais pas me laisser emporter dans ton histoire comme je l’ai été. Le point de vue est assez surprenant, mais ça rend d’autant plus vraies les émotions décrites. <3
Bravo pour original et plein de douceur 🙂
Je ne fais pas dans l’originalité non plus haha mais oui c’était vraiment très touchant ! On sent dans ton article à quel point tu tiens à ton cheval et ça met du baume au cœur de savoir qu’après tout ce qu’il a vécu, Leader a enfin trouvé une personne qui l’aime et qui prend soin de lui comme tu le fais ^^
Merci à toutes pour vos gentils commentaires. En effet, je tiens beaucoup à Leader. Hier, il a été fêté en beauté à l’occasion de ses 23 ans.
Son amie Naranja a également mis bas d’une jolie petite pouliche nommée Cherry. 🙂
Que du bonheur ces chevaux. 🙂
C’est un article très émouvant pour une très belle histoire !
Magnifique histoire. Merci Renart pour cet article.