Vous avez pu découvrir dans un précédent article le destin d’Anne de Bretagne qui fut l’épouse de deux rois de France. La série reines de France continue avec une autre femme qui, quelques siècles auparavant, fut également reine à deux reprises. Il s’agit bien sûr d’Aliénor d’Aquitaine, première femme de pouvoir de notre Histoire dont l’incroyable destinée la mena à la fois sur le trône de France et celui d’Angleterre. Faisons donc ensemble un grand voyage dans le temps de près de 900 ans, afin de découvrir celle qui fut à l’origine de grands conflits entre la France et l’Angleterre qui menèrent, deux siècles plus tard, à la célèbre guerre de Cent Ans.
Aliénor d’Aquitaine : naissance d’une femme de pouvoir
L’histoire d’Aliénor d’Aquitaine, également connue sous le nom d’Eléonore de Guyenne, débute au cœur du Moyen-Âge, dans les années 1120, la date exaxte n’est pas connue, près de Bordeaux. Fille de Guillaume X d’Aquitaine et d’Aénor de Châtellerault, elle est destinée à hériter d’un grand domaine très convoité : le duché d’Aquitaine et le comté du Poitou. Elle grandit entourée de poètes et de troubadours ; son grand-père Guillaume IX serait lui-même le plus ancien troubadour ! Elle reçoit une éducation brillante et devient une jeune fille d’une incroyable beauté avec un caractère bien trempé. Les nobles de son temps la décrivaient comme la plus séduisante des souveraines, à l’esprit vif et cultivé, aimant la poésie, la fête et les fleurs.
À la mort d’Aénor, Guillaume X débute un pèlerinage à Saint-Jacques-de-Compostelle dont il ne reviendra pas. Il meurt le Vendredi Saint de l’année 1137, laissant Aliénor orpheline et désormais duchesse d’Aquitaine.
Au même moment, à la cour de France, le roi Louis VI, dit le Gros, souffre d’une douloureuse maladie liée à son obésité. Voyant sa fin arriver, il s’inquiète de l’avenir de son fils, le futur Louis VII, qui n’est pas encore marié. Il reçoit alors le testament d’un certain Guillaume X d’Aquitaine, lui demandant protection pour ses deux filles, Aliénor et Pétronille, et l’implorant d’offrir au jeune Louis la main d’Aliénor. Sans tarder, un magnifique mariage est organisé le 25 juillet 1137 dans la cathédrale Saint-André de Bordeaux. Louis VI, soulagé, s’éteint une semaine plus tard laissant le trône de France aux mains du nouveau roi, Louis VII. Aliénor d’Aquitaine est sacrée reine des Francs en décembre de la même année.
Portrait de Louis VII
Aliénor d’Aquitaine : rebelle à la cour de France
Aliénor, attachée à l’environnement dans lequel elle a toujours vécu, souhaite apporter à Paris les traditions de la cour de Poitiers. Elle y introduit ainsi les troubadours, de nouveaux aliments (confitures, roses et gingembre confits vénitiens…), un nouveau style vestimentaire très coloré et osé (robes aux décolletés plongeants). Elle lance de nouveaux jeux et organise des tournois de chevaliers qu’elle préside elle-même. Son goût pour le luxe entraîne également de très nombreuses dépenses en bijoux, robes et tapisseries. Tous ces changements à la cour de France lui valent d’être rapidement critiquée.
Au début du mariage, Aliénor a une certaine influence sur le Roi qui est hypnotisé par sa beauté. Mais l’entente entre les deux époux est difficile tant ils sont différents. Louis VII est un homme très pieux, il était destiné à une carrière d’homme d’Église avant la mort prématurée de son frère aîné lors d’un accident d’équitation. Il est décrit comme étant fade et d’un caractère plutôt soumis alors qu’Aliénor est autoritaire et indépendante. Ainsi, l’héritier mâle tant attendu se fait désirer. Il faut attendre six ans avant la première grossesse de la Reine, mais, hélas, elle donne naissance à une fille prénommée Marie.
Un évènement très important dans la vie des deux époux a été la croisade en Terre Sainte en 1147 dont le but était d’aider les Chrétiens de Syrie. Ils partent ensemble en direction de Constantinople, mais leur mésentente continue à s’accentuer. En effet, le cortège de la Reine ralentit considérablement l’avancée et ils mettent 5 mois pour gagner l’Orient. Arrivés là-bas, les choses ne s’arrangent pas. Des discordes politiques éclatent entre Aliénor et Louis VII et des soupçons d’infidélités finissent d’ébranler le Roi. Alors, la belle Aliénor d’Aquitaine aurait-elle vraiment eu une relation avec son oncle Raymond de Poitiers ? L’histoire ne le dit pas, mais il est certain que Louis VII, lui, le pense. Il multiplie alors les erreurs politiques et diplomatiques entraînant l’échec de la croisade. Fâchés, les époux rentrent alors à Paris dans deux navires séparés.
Petite anecdote : Aliénor d’Aquitaine est capturée par des pirates grecs lors de ce voyage retour. Ce ne fut pas le Roi qui la libéra, mais des Normands venus de Sicile.
Aliénor d’Aquitaine : de reine de France à reine d’Angleterre
Au retour de la croisade, c’est le pape Eugène III qui tente alors de réconcilier Aliénor et Louis VII. Suite à cela, ils donnent naissance à une seconde fille, Alice, mais ce n’est pas pour autant synonyme de paix. Le Roi est fâché de n’avoir eu aucun enfant mâle après 15 ans de mariage et Aliénor est lasse d’être l’épouse d’un “moine”.
La Reine fait alors une rencontre qui bouleversera sa vie. En effet, Geoffroy Plantagenêt, le comte d’Anjou, et son fils Henri, le duc de Normandie, sont en visite à Paris pour rétablir la paix entre la France et leurs différents domaines. Aliénor est tout de suite charmée par Henri Plantagenêt qui est d’au moins 11 ans son cadet. Mais la Reine est intelligente et son intérêt pour le duc n’est pas seulement physique, il est aussi diplomatique. En effet, son contrat de mariage actuel établit qu’en cas de rupture, Aliénor récupère l’intégralité de son duché. Une alliance avec le duc de Normandie et futur duc d’Anjou lui permettrait de prendre la tête de tout l’ouest de la France, hormis la Bretagne. Louis VII accepte le divorce dont la cause officielle établie en l’an 1152 est la consanguinité au 4e et 5e degré.
Aliénor, non sans encombres, regagne ses terres d’Aquitaine et prépare son mariage avec Henri Plantagenêt, devenu entre-temps comte d’Anjou du fait de la mort de son père. On dit qu’Aliénor aurait demandé elle-même au duc de l’épouser, chose impensable pour une femme de l’époque ! Le mariage est célébré le 18 mai 1152 à Poitiers, donnant naissance à une nouvelle union qui, celle-ci, sera passionnée. Louis VII, très en colère, mettra tout en œuvre pour faire annuler le mariage, mais n’y parviendra pas.
Alors, me direz-vous, quel est le rapport entre un duc de Normandie et la couronne Angleterre ?
Eh bien, notre jeune Plantagenêt a une grande soif de pouvoir et projette de conquérir le trône d’Angleterre. Il y parviendra le 25 octobre 1154 et règnera sous le nom d’Henri II faisant d’Aliénor d’Aquitaine la nouvelle reine d’Angleterre.
Aliénor d’Aquitaine : une reine, mais avant tout une mère
Alors qu’en 15 ans Aliénor n’a eu que 2 enfants avec Louis VII, elle en aura 8 dont 5 fils avec Henri II, signe d’une union beaucoup plus fusionnelle que la précédente.
Voici la liste des différents enfants des deux époux dans l’ordre de naissance :
– Guillaume (1153-1156) ;
– Henri dit le Jeune (1155-1183) ;
– Mathilde (1156-1189) ;
– Richard (1157-1199), futur roi d’Angleterre, connu sous le nom de Richard Cœur de Lion ;
– Geoffroy (1158-1186), futur duc de Bretagne ;
– Aliénor (1161-1214) elle-même mère de Blanche de Castille, future reine de France ;
– Jeanne (1165-1199) ;
– Jean (1166-1216), dit Jean Sans Terre, futur roi d’Angleterre.
Comme vous pouvez le voir, les différentes grossesses d’Aliénor d’Aquitaine sont très rapprochées et l’éloignent de la scène politique. Henri II, lui, est souvent absent pour pacifier son nouveau royaume. Il est rapidement accepté par la population comme le nouveau roi légitime.
L’union des deux époux peut sembler idyllique les premières années mais, comme vous le verrez, la chance en amour ne sourit pas à Aliénor. Henri II est un mari très volage qui multiplie les infidélités. L’année 1170 marque un tournant dans la vie du couple : le roi est de plus en plus autoritaire et violent, et Aliénor préfère gouverner ses propres terres plutôt que l’Angleterre. La rupture est marquée en juin 1172 lorsqu’elle nomme son fils préféré Richard duc d’Aquitaine sans consulter au préalable son époux.
Aliénor d’Aquitaine : au cœur des rivalités familiales
La popularité du roi chute de plus en plus et son fil Henri le Jeune lui-même commence à se rebeller contre lui. Il reproche à son père l’assassinat de l’archevêque Thomas Becket, ancien conseiller d’Henri II, qui était parti au service du roi de France après des mésententes politiques. L’histoire est plutôt ironique, puisqu’elle débute sur un énorme malentendu : Thomas Becket, de retour en Angleterre n’était pas pour autant réconcilié avec Henri II. Un jour, énervé, le Roi aurait prononcé ces mots : “Personne ne me vengera donc de ce clerc ?”. La question était peut-être rhétorique, mais ses chevaliers ne l’ont pas compris comme cela et sont allés, sans tarder, assassiner Thomas Becket à l’intérieur même de la cathédrale de Canterbury. À l’époque, cette affaire fut un énorme scandale obligeant le roi à faire pénitence publiquement.
Mais revenons à notre conflit père-fils. Aliénor, dans sa quête d’indépendance, encourage Henri le Jeune dans sa rébellion, voyant alors la possibilité de donner à Richard un duché d’Aquitaine totalement indépendant. Mais c’est le roi de France, Louis VII, qui profite le plus de cette contestation politique. Eh oui, il cherche encore à se venger de son plus grand ennemi de toujours ! Il va même jusqu’à appeler le fils de son ancienne compagne “Henri III d’Angleterre”. La guerre est déclarée entre le père et le fils.
Un conflit militaire débute alors et Henri II prend vite l’avantage. Il commence une négociation avec ses fils leur proposant des titres et des châteaux. Mais Aliénor réussi à les convaincre de refuser, ce qui déplaît fortement à son époux qui décide d’envahir l’Aquitaine. Ses troupes sont victorieuses et, bien que la reine tente de s’enfuir en se déguisant en homme, elle est capturée et restera prisonnière dans la tour de Salisbury en Angleterre pendant 15 ans. Autant dire que la passion d’autrefois s’est transformée en haine.
Pendant ce temps, Henri II finit par remporter la victoire finale sur ses fils et sur le roi de France, mais il est indulgent avec eux, la seule personne à qui il en veut est… Aliénor ! Il tente même de faire annuler leur mariage sans y parvenir.
On aurait pu croire qu’avec le temps les conflits familiaux se sont apaisés, mais il n’en est rien ! Effectivement, au Moyen-Âge, qui dit 5 garçons issus d’une famille royale, dit aussi beaucoup de rivalités. Henri le Jeune (oui toujours lui !) est jaloux de son plus jeune frère Richard et commence à détruire ses terres. Mais, heureusement pour Richard, Henri décède à l’âge de 28 ans de maladie.
Le roi d’Angleterre demande alors à son nouveau successeur de céder les terres d’Aquitaine à Jean, le plus jeune des 5 fils, mais Richard refuse. Henri II prend alors une décision surprenante : il fait partiellement libérer son épouse dans l’espoir de tendre un piège à Richard pour que celui-ci se retourne contre sa mère. Mais il ne tombe pas dans le panneau et prête serment à Aliénor. Henri II, humilié, meurt le 6 juillet 1189, laissant le trône à Richard Cœur de Lion qui s’empresse de faire libérer Aliénor qui a maintenant au moins 65 ans !
Portrait de Richard Cœur de Lion
Aliénor d’Aquitaine : dernier retour sur le devant de la scène politique
À peine libérée, Aliénor est nommée régente d’Angleterre, pendant que Richard voyage en Europe, puis part faire la 3e croisade en Terre sainte. Bien que l’espérance de vie de l’époque n’est que de trente ans, Aliénor est encore en pleine forme et s’occupe de cette mission avec beaucoup d’intelligence et de sérieux. Elle tente de réparer les actes cruels commis par son défunt époux, elle fait par exemple libérer de nombreux prisonniers injustement condamnés.
Aliénor n’hésite pas non plus à faire de longs déplacements à cheval. Elle va par exemple chercher elle-même, en Espagne, Bérangère de Navarre, la fiancée officieuse de Richar, puis la conduit jusqu’en Sicile. C’est une mission délicate, car Richard a promis d’épouser la fille de Louis VII, alors qu’il n’en a en réalité pas l’intention. Le voyage devait donc être réalisé dans la plus grande discrétion. Le mariage a lieu le 16 mai 1191.
Pendant ce temps, Jean sans Terre, qui est maintenant le prochain héritier du trône d’Angleterre, profite de l’absence de sa mère pour essayer de s’emparer du pouvoir. Elle revient à temps pour l’en empêcher, mais doit de nouveau repartir pour libérer son fils Richard, prisonnier de l’Empereur de Germanie Henri VI, dit le Cruel. Il est relâché le 4 février 1194 en échange d’une grosse somme d’argent.
Le Roi reprend le contrôle de l’Angleterre et se réconcilie avec son dernier frère encore en vie, Jean sans Terre. Aliénor, fatiguée, désire prendre sa retraite dans l’abbaye de Fontevraud en Tourraine. Mais elle continue à veiller sur son fils Richard et va le rejoindre peu de temps avant qu’il ne meurre en avril 1199.
Abbaye de Fontevraud
Âgée de presque 80 ans, Aliénor reprend alors la route et traverse tout l’ouest de la France pour faire de Jean sans Terre le nouveau roi légitime et combattre ses nombreux opposants. Cette stratège hors pair va alors faire son dernier coup de maître. Elle lègue ses terres à son dernier fils encore vivant, Jean sans Terre, qui se retrouve à la tête du duché de Normandie, d’Aquitaine et du Poitou, en plus de l’Angleterre ! Cela permet d’empêcher le nouveau roi de France Philippe Auguste de s’emparer du duché d’Aquitaine qu’il convoite depuis un long moment.
Pour sceller la paix entre la France et l’Angleterre, elle repart, malgré son grand âge, en direction de l’Espagne pour choisir entre ses deux petites-filles laquelle épousera l’héritier du trône de France. Elle choisit la petite Blanche, future reine très connue sous le nom de Blanche de Castille.
Dans les dernières années de sa vie, Aliénor d’Aquitaine fatiguée assistera, impuissante, aux défaites successives de Jean sans terre qui se révèle être un roi exécrable. Elle meurt, dans la tristesse, en début d’année 1204 et est inhumée à Fontevraud auprès d’Henri II et de Richard Cœur de Lion. Jean sans Terre, à lui seul, détruira toute l’œuvre de la vie d’Aliénor laissant aux mains de Philippe Auguste une grande partie des anciennes terres de la défunte Reine.
En bref, Aliénor d’Aquitaine a eu une vie hors du commun. Alors que beaucoup de femmes de l’époque mourraient au moment de l’accouchement, elle a donné naissance à 10 enfants tout en restant en pleine forme. Ses enfants étaient eux-mêmes très solides, seul un n’a pas atteint l’âge adulte !
En plus d’être très forte, Aliénor a été l’une des premières femmes à oser tenir tête à tous les hommes qu’elle a côtoyés. Très intelligente et véritable leader politique, elle a su préserver l’indépendance de son duché. Saviez-vous qu’elle avait été reine de France, mais aussi d’Angleterre ? Avez-vous des anecdotes historiques à nous faire partager ? Dîtes-nous tout dans un commentaire !
Sometimes
Sources texte :
– Secrets d’Histoire
– Histoire des femmes
– Larousse encyclopédie
– Les Derniers jours des reines, Jean-Christophe Buisson et Jean Sevilla
Sources images :
– Aliénor d’Aquitaine
– Louis VII
– Mariage d’Aliénor d’Aquitaine et d’Heni Plantagenêt
– Richard Cœur de Lion
– Abbaye de Fontevraud
– Carte de France
Ton article est vraiment passionnant ! J’ignorais tout d’Aliénor d’Aquitaine et c’est vraiment impressionnant tout ce qu’elle a fait, pour son genre, son âge, son époque… dingue !
Merci beaucoup Siran, c’est très gentil. Et ou c’était une femme vraiment incroyable !
Elle a tout de même eu une sacrée vie !
Je ne la connaissais pas du tout, merci pour cet article !