Elle fait partie de ces grandes catastrophes industrielles qui ont marqué notre génération. Tchernobyl ou encore, plus récemment, Fukushima, dix ans après l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, retour sur le nuage d’ammonitrate qui s’est dispersé sur la ville rose.
« Nous sommes le vendredi 21 septembre 2001. Comme tous les matins, je me suis levée à 6h pour prendre mon bus à 7h afin d’aller au lycée. Et comme tous les matins, mon coup de barre se fait juste avant la pause. Heureusement qu’il est 10h08, la sonnerie ne va pas tarder, je vais enfin pouvoir aller en pause.
10h10, enfin, c’est la pause, la sonnerie vient de retentir, je vais pouvoir me dégourdir les jambes. Je suis dans un lycée comptant environ 2500 élèves, le temps de sortir du bâtiment, le temps de la pause a avancé. Je me retrouve dehors avec une copine qui veut aller aux toilettes, je l’accompagne, il est 10h15. Je rentre dans les toilettes puis en ressort pour laisser la place à mon amie, elle rentre, ferme la porte et là, une grosse explosion se produit, moi et les autres nous retrouvons à terre, mon amie sort des toilettes et me dit « Qu’est-ce que j’ai fait ? ». Rien, bien sûr qu’elle n’a rien fait, rien n’est de sa faute, mais l’incompréhension est là. On entend des cris, on ressort, et là, on voit l’horreur. Toutes les vitres des bâtiments ont explosé, un jeune est sous les fenêtres d’un bâtiment, le crâne ensanglanté, il a reçu un gros éclat de verre dans la tête. On commence à paniquer, tous les élèves se précipitent sur le terrain d’athlétisme, tout le monde parle, crie, pleure. Un jeune fait une crise d’épilepsie, les pions se précipitent vers lui pour essayer de l’aider, on entend à la radio que ce sont des attentats, ça aurait explosé à l’aéroport de Blagnac, au Capitol, … La panique monte d’un cran. Et puis, certains lèvent les yeux et voient dans le ciel un nuage pas comme les autres, ce nuage est relativement bas et il est orange ! La panique est ultra palpable, les pions nous font rentrer dans les amphis, personne ne sait ce qu’est ce nuage, s’il est toxique ou non.
Le nuage est passé, porté plus loin par le vent, nous sortons donc des amphis où nous étions entassés et là, c’est la fuite, tout le monde court vers la sortie du lycée. On s’aperçoit alors qu’il y a des bouchons, que la panique est partout, mes amis cherchent à rentrer chez eux, moi, je suis cinglée, je cherche à aller dans Toulouse, rejoindre mes parents alors que tout le monde fuit la ville. Au final, je resterai au lycée jusqu’à 16h20, heure à laquelle mes parents sont venus me chercher.
J’ai appris plus tard que l’usine AZF (Azotes et Fertilisants) avait explosé. »
« Je m’appelle Didier. J’ai 43 ans et je travaille en tant que cuisinier dans un restaurant d’entreprise, à 800 mètres de l’usine AZF. Je suis en train de mettre du poisson dans le four, quand le sol tremble. Que se passe-t-il ? Je regarde mes collègues, qui sont aussi ébahis que moi, personne ne comprend. Je n’ai pas le temps de me remettre de ma surprise qu’une explosion retentit, toutes les étagères sont arrachées, tout ce qui est en verre explose. Près de mon four, je tombe.
Tous, nous sortons. Sur le parking de notre travail, nous constatons le champignon orange qui s’élève dans le ciel. Un de mes collègues repart en cuisine pour aller chercher un linge humide afin de le mettre sur son visage.
Le silence juste après ces deux explosions est… Impressionnant. Aucun mot pour le décrire, plus un bruit, plus de chants d’oiseaux, rien.
L’hébétude se lit sur tous les visages.
Je décide d’aller voir si ma femme va bien. En sortant de mon travail, je rencontre, sur le parking, un homme, ensanglanté, qui me demande secours, car personne n’a souhaité l’aider, vous comprenez, il aurait pu tacher les sièges… Cet homme était devant un magasin proche de 200 mètres de l’usine, la vitrine devant laquelle il était lui a explosé dessus. Je lui ouvre ma portière, il monte, mais il bouge tellement que ses blessures s’aggravent et fait une hémorragie dans ma voiture, c’est très impressionnant, mais cet homme a de la chance, j’arrive juste devant la clinique la plus proche, il peut enfin se faire prendre en charge. »
10 jours après les attentats de New-York, comment ne pas penser à de nouveaux attentats ?
Le hangar 221 où étaient contenues 300 tonnes de nitrate d’ammonium a explosé, provoquant deux explosions, une 1ère puis une 2nde, considérée comme le souffle qui a infligé tous les dégâts.
Une employée de l’usine, qui commercialisait ce nitrate, a survécu alors qu’elle était dans un bureau proche du hangar, elle expliquait ne pas comprendre comment l’explosion pouvait avoir eu lieu, car il fallait un détonateur.
Une enquête a eu lieu, des expertises ont été mises en place. D’abord, il y a eu la pensée d’une erreur humaine, une mauvaise manipulation, qui a été vite écartée. Ensuite, les conditions de stockage, mais cela n’expliquait pas une catastrophe de cette ampleur. Enfin, l’attentat, mais quel intérêt de détruire cette usine qui n’était rien pour le Gouvernement français ? Dans une ville secondaire… Cause écartée aussi.
31 morts, près de 9000 blessés, environ 100 000 sinistrés. Un lycéen est mort dans le lycée Galliéni juste à côté de l’usine, il a reçu une plaque de métal qui l’a tué sur le coup. 21 employés de l’usine ont été tués, des milliers de personnes ont eu leurs logements soufflés et ont été obligés de vivre plusieurs mois dans des mobil-homes. Les blessures physiques et psychologiques étaient multiples, même 10 ans après, la blessure est toujours présente.
Un procès a été ouvert, mais il n’a pas permis de définir les causes de l’explosion, une relaxe a été prononcée à l’encontre du géant Total, propriétaire de l’usine.
Ce procès était pourtant très gros, un dossier comportant 109 tomes, soit 53 820 pages. 2 949 plaignants et 229 personnes s’étaient constituées parties civiles. 1 103 témoins ont été entendus. Au 1er janvier 2009, 87 000 dossiers ont été indemnisés pour un coût d’environ deux milliards d’euros, car Total avait reconnu sa responsabilité civile. Le procès a duré quatre mois (du 23 février 2009 au 30 juin 2009), il a été filmé et enregistré à la demande d’associations de victimes, il a également coûté près de huit millions d’euros. Cependant, un procès en appel s’ouvrira le 3 novembre 2011 pour tenter de faire la lumière sur cette catastrophe et rouvrir l’enquête.
Aujourd’hui, le site de l’usine a été dépollué afin d’y construire le Cancéropole, site européen de la lutte contre le cancer. Il réunit aujourd’hui au moins 2 000 chercheurs et positionne Toulouse comme l’un des centres de référence de la lutte contre le cancer au niveau européen et international.
Il était indispensable que le site soit réutilisé à des fins positives.
Cela fait 10 ans, mais personne n’a oublié la douleur, la peur, l’incompréhension et, surtout, la colère, colère après un géant de l’industrie qui a tué et blessé autant de personnes et qui s’en est sorti sans problème ! Je rends hommage à toutes ces personnes qui ont été tuées, blessées et mises à la rue à cause de cette catastrophe, mais aussi aux familles.
Plan du site avant l’explosion :
Rocade juste après l’explosion :
L’usine après explosion :
Le nuage d’ammonitrate :