L’écriture inclusive

Première de couverture de manuel
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Répétez après nous : « Le masculin l’emporte sur le féminin ». On connaît tou•te•s cette règle érigée dans la langue française depuis le XVIIe siècle. On nous l’a apprise à l’école et on l’utilise dans la vie de tous les jours… Or, depuis quelques années, de nombreux débats apparaissent dans les milieux militants, afin de remettre en question cette règle considérée comme une vision de notre monde patriarcal, fondé sur la domination des femmes par les hommes.

À l’occasion de la sortie d’un manuel scolaire chez Hatier rédigé en écriture inclusive, nous avons décidé de vous présenter dans les grandes lignes ce type d’écriture. Lisez donc la suite de cet article pour en savoir plus !

Petit historique et philosophie de la langue française

Le masculin va « l’emporter sur le féminin » au XVIIe siècle, mais il n’en a pas toujours été ainsi. « Lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l’emporte », affirme l’abbé Bouhours en 1675. « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle », complète en 1767 le grammairien Nicolas Beauzée.

Avant la primauté du masculin, pourtant, existait la règle dite « de proximité » qui se pratiquait en grec ancien, en latin et en français. Pour éviter de choquer l’oreille, on accordait l’adjectif avec le nom le plus proche. Par exemple : « Le poivron et la pomme sont jolies ». Au moment de la réforme de la langue sous Richelieu, un choix idéologique a été fait pour faire passer les représentations sociales du « masculin l’emporte sur le féminin » à une règle grammaticale définie et officielle. Cette règle était donc le reflet de la société de l’époque : traditionnellement les femmes s’occupaient des enfants et de la maisonnée, tandis que les hommes avaient toute l’autorité du foyer et le faisait vivre par leurs revenus.

Aujourd’hui, à l’inverse, on peut se demander quelle est l’influence de la langue sur la société.

Dans une optique féministe, nous partons du principe que les mots et la manière de les exprimer sont importants : pensez-vous normal que dans une assemblée de 80 femmes et 20 hommes, ce soit les 20 % qui soient accordés ? Les représentations auxquelles nous sommes constamment exposé•e•s renforcent ainsi les stéréotypes de genre et les inégalités : dans le cas sus-cité, sans nous en rendre compte, nous invisibilisons 80 % des personnes présentes.

L’exemple est fort, néanmoins les femmes représentent environ 50 % des humain•e•s, il semble important de les inclure à l’écrit. Rappelons que ce sont les écrits qui restent dans l’Histoire, et nos langues sont vivantes, c’est-à-dire qu’il est sain et naturel de les faire évoluer au gré des avancées sociétales, à l’oral comme à l’écrit.

Actuellement, il arrive que dans des situations neutres, l’utilisation des parenthèses soit de rigueur (par exemple « un(e) artiste »). Ces parenthèses, en plus d’être lourdes à la lecture, impliquent, par définition, une formulation excluant le féminin du sujet original.

N’oublions pas non plus d’évoquer la question des genres dans la langue française : certaines personnes ne font pas partie du spectre binaire du genre (qui est social, contrairement au sexe, qui est biologique). Il est également bien dérangeant d’écrire de manière à ce qu’il n’existe que des femmes et des hommes, tandis que certain•e•s se définissent agenre, genderfluid, bigenre… et ne souhaitent pas être défini•e•s à l’écrit au féminin ou au masculin seul.

Concrètement, l’écriture classique, en plus d’être sexiste, est donc également ciscentrée : elle exclut les personnes transgenres*.

Tout naturellement, devant ces inégalités face aux mots, de nombreux collectifs militants, souvent féministes, ont développé une écriture dite « inclusive ». Vous l’aurez compris, l’objectif est d’inclure au maximum tous les individus, sans pour autant en exclure d’autres. Se pose notamment la question des logiciels de lecture vocale pour les personnes malvoyant•e•s, dont nous parlerons dans la suite de cet article.

*dont le genre n’est pas celui qu’on leur a attribué à la naissance, en opposition aux personnes cisgenres, dont le genre est celui qui leur a été attribué à la naissance : globalement vulve = femme ; pénis = homme.

 

Règles générales de l’écriture inclusive

Vous l’aurez compris, l’écriture inclusive a été créée pour que la langue française puisse inclure toutes les identités de genre en les mettant sur un pied d’égalité. Seulement, quand on débute, on peut être facilement perdus. Doit-on mettre des slashs, des points, des mots mixés qui sont donc considérés comme des néologismes ? Pour vous aider, voici quelques règles de base ainsi que leurs avantages et leurs inconvénients !

 

Deuxième illustration pour l'écriture inclusive

 

Les parenthèses

La première chose à laquelle on pourrait penser, serait d’utiliser des parenthèses, mais comme on l’a vu plus tôt, mettre entre parenthèses le féminin est loin d’être une bonne solution, car là encore, le masculin l’emporterait sur le féminin.

L’avantage est qu’elles sont plus faciles à utiliser pour les personnes qui ne comprennent pas encore tout à l’écriture inclusive, mais nous vous déconseillons fortement de vous habituer à cette solution.

 

Les points de ponctuation et les points médians

Si vous êtes un•e habitué•e des réseaux sociaux, vous aurez très probablement déjà vu passer des mots hachés tels que « Tou.te.s » ou « Acteur•rice ».

L’avantage des points est qu’ils mettent les genres du mot sur un pied d’égalité, mais attention aux points que vous utilisez.

Un point de ponctuation normal est très bien pour les lecteur•ices sans handicap, mais les personnes malvoyantes ou aveugles, utilisant des logiciels de lecture, peinent à faire lire un mot qui serait haché par des points de ponctuations.

La meilleure solution est donc d’utiliser les points du milieu, appelés « points médians », comme dans cet exemple : « Tou•te•s ». Ceux-ci ne sont pas considérés comme une ponctuation de fin de phrase par ces logiciels, ils peuvent donc lire le mot plus facilement, comme lorsqu’ils rencontrent un tiret. Vous trouverez ce point dans vos claviers de smartphones ou, sur PC, avec le raccourci ALT + 0183, et ALT + MAJ + F sur Mac.

 

Parler au neutre

Il s’agit sans doute de la méthode la plus simple à utiliser pour les néophytes ou pour les auteurices désireux•ses de se faire comprendre par tout le monde.

Lorsque vous parlez d’une personne dont vous connaissez l’identité de genre et que celle-ci est binaire, vous pouvez la genrer avec les bons pronoms, féminins ou masculins.

Par contre, lorsque vous parlez d’un groupe de personnes ou de quelqu’un•e qui est non binaire ou agenre, par exemple, vous pouvez tout simplement modifier vos tournures de phrases pour utiliser des termes mixtes. Au lieu de dire « elles » ou peut-être « celleux » (contraction de « celles » et « ceux »), vous utiliserez le terme « personne ».

Par exemple, prenons la phrase : « Tous ceux présents au dîner d’hier soir étaient très gentils. »

On pourra modifier de cette façon : « Tout•e•s celleux présent•e•s au dîner d’hier soir étaient très gentil•le•s. » ou encore « Toutes les personnes présentes au dîner d’hier soir étaient très gentilles. ».

Vous noterez d’ailleurs que, bien évidemment, l’écriture inclusive ne concerne que les parties de phrases désignant des personnes, et non des objets ou des évènements.

 

Les nouveaux mots mixtes considérés comme des néologismes

Beaucoup de gens qui n’ont pas l’habitude de l’écriture inclusive butent parfois sur des mots qui ne sont pas couramment utilisés hors des milieux militants. Il peut donc être pénible pour elleux de lire un long texte qui en utiliserait plusieurs dans un même paragraphe, voire une même phrase.

L’avantage, c’est qu’il est beaucoup plus facile et rapide d’utiliser ces mots que de passer son temps à mettre des points partout ou à choisir soigneusement ses tournures de phrases. L’inconvénient est qu’il est parfois long pour des non-initiés de lire un texte qui en utiliserait trop, mais qui les intéresse malgré tout.

C’est pourquoi nous vous proposons quelques exemples pour vous aider à déchiffrer ces mots qui pourraient vous sembler étranges.

 

Les métiers

Lorsqu’il s’agit de parler du métier d’une personne, on fait un mélange du féminin et du masculin : acteurices, illustrateurices, moniteurice, etc.

Lorsqu’il est impossible de le faire parce que le mot est trop différent ou à une lettre près, ou encore qu’il y a une dénomination spécifique, on peut modifier la tournure de phrase et proposer un terme avec des point médians : technicien•ne, pâtissier•e, etc.

 

Les activités (des personnes)

Comme pour les métiers, lorsqu’il s’agit de désigner une personne, on peut faire un mélange des deux genres ou proposer un terme avec des « • » : lecteur•ices, skateur•euse, etc.

 

Les pronoms

Vous en croiserez beaucoup, et les pronoms sont tous mixés. En effet, il est bien plus facile, à l’écrit comme à l’oral, de les utiliser, sans pour autant trop troubler les lecteur•ices : iels (ils, elles), celleux (celles, ceux), lea (le, la), etc.

Pour en savoir plus, vous pouvez également consulter ce site, dédié à l’écriture inclusive.

 

Comment l’utiliser à l’oral

Maintenant qu’on a vu les règles de base, nous vous proposons de passer à la pratique !

Lorsqu’on pense maîtriser l’écrit, on se pose tout de même certaines questions et surtout, on se demande si on va vraiment un jour parler en inclusif en dehors de groupes militants, voire peut-être d’amis proches qui seraient LGBTQI+*. Et en effet, une fois lâché•e•s dans le vrai monde, est-il vraiment utile voire même prudent de l’utiliser dans un milieu où la majorité de la population n’est pas sensibilisée à ces problématiques ou même complètement opposée ?

Eh bien certes, vous risquez de rarement l’utiliser, mais si vous vous en sentez le courage, n’hésitez pas à au moins tenter l’expérience une fois, quitte à expliquer ensuite aux personnes autour de vous quelle est cette façon de parler.

*Lesbiennes, gays, bisexuel•le•s, trans, queer et intersexes.

 

Prêt•e•s ? On y va !

 

Cela vous surprendra peut-être, mais… à l’oral, ça passe tout aussi bien que lorsqu’on utilise des mots classiques. Essayer de prononcer tout haut « Iels sont magnifiques » ou encore « L’acteurice qui joue Bill dans la dernière saison de Doctor Who est tellement badass ! ». Vous voyez ? Rien de bien compliqué !

Quant aux « Tout•e•s » et autres mots entrecoupés de points, si jamais vous n’arrivez pas à les prononcer… ce n’est pas grave ! On ne changera peut-être jamais la langue française et entendre tout le monde autour de soi parler le « bon français » n’aide pas à s’entraîner à cette pratique. Cela ne nous empêche pourtant pas de pratiquer et, qu’il s’agisse de modifier ses tournures de phrases ou de rire en essayant de dire « Touteusss », le principal est d’essayer ! Avec un peu de chance, ça fera assez rire votre interlocuteur pour que vous puissiez aborder le sujet en douceur !

 

Iels ont adopté l’écriture inclusive

Maintenant que vous connaissez les principes et les intérêts de l’écriture inclusive, faisons un petit tour d’horizon de celleux qui sont passé•e•s à ce mode de rédaction !

On croise de plus en plus d’internautes utilisant l’écriture inclusive sur les réseaux sociaux ainsi que sur les blogs, principalement dans le milieu militant, mais pas seulement. Des journaux en ligne plus conséquents l’ont également employée, certains pour quelques articles seulement, d’autres pour la majorité de ce qui est publié. Ainsi, on pourra citer le webzine madmoiZelle,qui l’utilise dans de nombreux articles, mais aussi des publications plus connues comme Libération, France Info ou Ouest France qui y ont consacré au moins un article. En dehors de la presse, des Youtubeureuses plus ou moins célèbres ont également sauté le pas : par exemple, les chaînes la ChroNique (traitant des sujets de sexualité), Mx Cordélia (culture et sociologie LGBTQI+), Vivre Avec (quotidien avec le handicap), Princ(ess)e (thématiques LGBTQI+) et Licarion Rock (cinéma) emploient l’écriture inclusive constamment, y compris à l’oral pour certain•e•s. Parmi les chaînes les plus connues, on peut citer par exemple LinksTheSun (qui traite de culture générale) commence également à l’utiliser à l’écrit.

 

Au-delà du web, sachez également que l’administration de l’université de Tours s’est engagée à mettre en œuvre le plus de dispositions possibles pour n’exclure aucun•e étudiant•e, après qu’une personne transgenre l’a alertée à ce sujet. Ainsi, en plus de proposer dorénavant une carte étudiante rédigée en écriture inclusive, l’université a également mis en place des toilettes neutres et permettra aux inscrit•e•s d’employer leur prénom d’usage au lieu du prénom d’état civil qui était auparavant utilisé, et qui pouvait ne pas correspondre au genre de la personne.

Les anglophones ont évidemment moins de soucis avec la neutralité puisque la langue anglaise est déjà globalement neutre ou, en tout cas, beaucoup plus que ne l’est le français. Toutefois, pour les personnes non-binaires, pour lesquelles il n’est pas possible d’utiliser he ou she et les pronoms qui leur sont associés, il est possible de remplacer par they et ses dérivés. Aussi, le réseau de métro londonien a également fait un pas en faveur de l’égalité entre tou•te•s en remplaçant l’ancien « ladies and gentlemen » des appels au micro par des formules beaucoup plus neutres, composées du terme « everyone ».

 

Il semblerait donc que l’écriture inclusive obtienne de plus en plus d’adeptes, même si la langue française n’est probablement pas près de changer véritablement (mais après tout, Paris ne s’est pas fait en un jour !). Quant à vous, nous sommes sûres que vous arrivez plus facilement à lire l’écriture inclusive qu’au début de cet article : comme avec la rectification orthographique de 1990, tout est une question d’habitude.

Sachez pour finir que le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes s’est saisi du dossier et a rédigé un petit guide pour une communication sans stéréotypes : cela nous montre que l’État français commence à prendre au sérieux le problème du sexisme dans la langue française.

Connaissiez-vous l’écriture inclusive ? L’employez-vous dans vos textes ? Dans le cas contraire, pensez-vous l’utiliser dans le futur ? Comprenez-vous mieux les enjeux de cette méthode d’écriture après la lecture de cet article ? N’hésitez pas à nous laisser un commentaire !

 

Audy-Kun, Kaalyn et JustOneAlien

 

 

Sources texte :

L’écho des sorcières

Huffington post

Site officiel sur l’écriture inclusive

Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes

 

Sources des images :

Image à la une

 

Image 2

2 réflexions sur “L’écriture inclusive”

  1. C’était vraiment un article très intéressant, j’aime beaucoup l’approche que vous en faites, qui n’est pas simplement féministe. Finalement je le vois d’un autre œil, moi qui y était opposée. Je pense que ça a un bon coté (everyone, they, ce genre de termes). Par contre je trouve que les points gênent vraiment la lecture… et pour les termes celleux iels lea je trouve encore que c’est « trop » j’ai encore besoin de m’habituer. Je n’ai pas de réel soucis de respect des hommes ou autre, rien de vraiment grave même si ça c’est déjà arrivé. Mais je comprends que ce soit nécessaire pour que certain•e•s arrêtent de considérer autrui comme un bout de viande (zavez vu je maîtrise haha)
    Enfin super article ! Très intéressant !

     

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