Haley Morris-Cafiero est une photographe quarantenaire qui a utilisé son art pour dénoncer le regard porté sur les personnes obèses. Je vous propose de découvrir cette artiste et son projet « Wait Watchers » dans la suite de cet article.
L’artiste Haley Morris-Cafiero, créatrice de « Wait Watchers »
Haley Morris-Cafiero est née à Atlanta, aux États-Unis. Lorsqu’elle était jeune, elle était très sportive et pouvait faire jusqu’à 40 heures de football américain par semaine. Elle a développé une anorexie pendant son adolescence et ses problèmes de thyroïde l’ont ensuite contrainte à changer son mode de vie en réduisant drastiquement son activité physique, ce qui a entraîné une importante prise de poids au lycée.
Passionnée par l’art en général, Haley Morris-Cafiero a étudié à l’université de Floride du Nord, où elle a obtenu un diplôme en photographie et en céramique. Plus tard, elle a aussi obtenu un diplôme en arts à l’université d’Arizona.
Aujourd’hui quarantenaire, elle est professeur de photographie aux Beaux-Arts de Memphis (États-Unis). Elle se décrit professionnellement comme étant à la fois une interprète, une artiste, une provocatrice et une spectatrice lorsqu’elle fait de la photographie.
Titan – Photographie par Haley Morris-Cafiero
Son travail a été exposé aux États-Unis, mais aussi à l’étranger et elle a été nommée au prix Pictet en 2014 et en 2016 (ce prix récompense les photographes engagés pour le développement durable). Elle s’est en particulier fait connaître grâce à ses photographies engagées contre la grossophobie et pour l’acceptation de son corps même s’il n’est pas dans les standards de beauté. En effet, Haley Morris-Cafiero a longtemps essayé de perdre du poids grâce à tous les régimes qui existent, sans succès, avant d’accepter et d’aimer son corps tel qu’il est.
La naissance du projet « Wait Watchers » d’Haley Morris-Cafiero
Haley Morris-Cafiero a eu l’idée, en 2010, de commencer une série d’autoportraits dans des endroits particulièrement fréquentés en ville, alors qu’elle faisait des activités plutôt banales (téléphoner, manger, regarder autour d’elle…), habillée en tenues du quotidien pour se fondre dans le décor. Ces mises en scènes lui permettraient alors de voir comment son corps s’intégrait dans la société et dans l’espace.
L’idée initiale de ce projet était donc de se concentrer sur elle-même, sur son image. La série devait s’appeler « Something to weigh », signifiant « Quelque chose à considérer / peser » et faisant ainsi référence à l’intégration de sa corpulence dans le décor.
Lors d’une séance photo à Time Square (New York) au cours de laquelle elle posait sur des marches d’escaliers, son appareil capta le regard d’un homme derrière elle qui ne pouvait s’empêcher de la fixer et de ricaner. Il ne détachait pas son regard de l’artiste alors qu’il se trouvait dans un lieu particulièrement stimulants visuellement parlant et qu’il se faisait lui-même prendre en photo. En regardant tous les clichés qu’elle avait pris, Haley Morris-Cafiero se rendit compte qu’il l’avait fixée pendant un long instant.
Anonymity Isn’t for Everyone (L’anonymat n’est pas pour tout le monde) – Photographie par Haley Morris-Cafiero
Ceci a intrigué l’artiste qui décida de renouveler l’expérience dans un autre lieu, avec d’autres passants, pour voir si ce genre de regards pouvait à nouveau être immortalisé dans ses photos. Ce fut le cas : à nouveau elle put surprendre des regards réprobateurs, méprisants, moqueurs ou dégoûtés. Et dans le lieu suivant et hors des États-Unis il se passa la même chose : la photographe fit cette expérience un peu partout dans le monde (Pérou, Allemagne, France, Espagne, république Tchèque, Panama…).
Haley Morris-Cafiero prit un tournant dans son projet et décida cette fois de se concentrer sur les réactions des passants autour d’elle, de figer le regard que les personnes posent sur elle alors qu’elle fait des choses ordinaires. C’est ainsi qu’est né « Wait Watchers », signifiant « Attendez, observateurs » se prononçant de la même façon que le célèbre régime, et qui a par la suite évolué en un second projet intitulé « Self Improvement », qu’on peut traduire par « Enrichissement personnel ».
Ce second projet est une sorte de suite de « Wait Watchers », enrichie par les commentaires du public ayant admiré les premières photographies. De nombreuses personnes ont en effet répondu à Haley Morris-Cafiero qu’elle n’attirerait pas ces regards si elle faisait du sport, se maquillait, essayait des vêtements à la mode qui la mettraient plus en valeur… C’est donc exactement ce qu’a fait l’artiste : elle s’est mise en scène comme dans « Wait Watchers » dans des lieux publics en faisant ce que la société semblait attendre d’elle, c’est-à-dire faire de l’exercice physique, s’acheter de nouveaux vêtements… Malheureusement, même dans cette position où elle tente de se rapprocher des standards de beauté, les regards restent les mêmes, alors qu’on aurait pu s’attendre à des visages plus sympathiques et encourageants.
« Wait Watchers » a par la suite été publié sous le titre « The Watchers ». Le livre contient une 60aine de clichés ainsi que certains commentaires reçus lors de la mise en ligne des images.
Comment Haley Morris-Cafiero prenait-elle les photos pour « Wait Watchers » et « Self Improvement » ?
L’objectif de Haley Morris-Cafiero dans « Wait Watchers » et « Self Improvement » était d’illustrer le sentiment d’exclusion que peuvent avoir les personnes au physique en dehors des standards. Cela peut être causé par des remarques, mais aussi par des gestes et des regards venant des gens qui les entourent. Et c’est cela que l’artiste a voulu capturer sur ses clichés.
Pour cela, elle s’installait dans un endroit très passant. Haley Morris-Cafiero a confié qu’elle anticipait rarement les lieux où elle allait poser et qu’elle trouvait l’inspiration en marchant dans les villes qu’elle visitait. Lorsque l’endroit lui convenait, elle ou un assistant installait l’appareil photo sur un trépied ou un banc. Ils faisaient tous les réglages pour ne plus avoir à y toucher par la suite.
Les photos étaient prises à distance afin que les personnes entourant l’artiste ne soient pas gênées par cela et montrent leurs réactions spontanées.
Cops (Policiers) – Photographie par Haley Morris-Cafiero
La photographe s’installait ensuite dans le cadre et attendait, prenant des centaines de photos par lieu. La configuration faisait qu’Haley Morris-Cafiero ne voyait pas les personnes derrière elle ou à ses côtés et elle ne savait donc pas s’ils présentaient ou non des réactions particulières en la voyant. Elle ne le découvrait que par la suite, en regardant les photos.
L’artiste s’est rendu compte que les passants montraient plus de réactions quand elle semblait occupée et elle a essayé de donner cette impression en regardant un plan, en téléphonant, en mangeant quelque chose… À aucun moment les passants n’étaient mis en scène ou les réactions programmées, ce sont les comportements d’inconnus qui passaient près d’elle qui étaient captés sur l’instant. De même, aucune photo n’a été retouchée pour faire apparaître les réactions observées.
Bien qu’Haley Morris-Cafiero fasse aussi des vidéos, elle a privilégié pour « Wait Watchers » et « Self Improvement » la photographie. Il s’agit en effet d’une image fixe qui peut être contemplée dans les moindres détails, faisant abstraction de ce qu’il se passait avant ou se passera après et c’est ce qui intéressait l’artiste.
Les réactions face au projet « Wait Watchers » d’Haley Morris-Cafiero
Haley Morris-Cafiero est une femme qui assume pleinement son corps et s’aime telle qu’elle est, mais les images qu’elle prend montrent que les passants n’ont pas tous la même vision des choses. Même si elle était consciente avant ces projets qu’elle était regardée et jugée dans la rue, elle a publié ces images pour démontrer qu’on se fait un avis sur une personne en se basant uniquement sur son apparence (sa corpulence, sa coiffure, ses vêtements…).
La photographe ne se sent pas vexée par les réactions des passants et les regards qui lui sont adressés. Cependant, les commentaires reçus sont parfois encore plus durs que le regard posé par ces inconnus, comme s’il fallait forcément entrer dans la norme pour se sentir bien et être accepté dans la société, comme s’il fallait juger tout et tout le monde même sans rien savoir sur eux à part ce qu’on voit… Beaucoup de commentaires envoyaient des messages ressemblant à « Ils ne vous regardent pas parce que vous êtes grosse, mais parce que vous êtes laide » (They’re not looking at you because you’re fat, they’re looking at you because you’re ugly!) ou lui conseillant de faire du sport, de perdre du poids, de changer de coiffure ou de vêtements.
Ces photos sont aussi un moyen pour Haley Morris-Cafiero d’illustrer le sentiment d’exclusion de la société des personnes en dehors des standards et les humiliations qu’elles peuvent subir au quotidien. C’est d’ailleurs l’un des aspects de son projet qui a reçu le plus de commentaires positifs, comme par exemple « Tu es brillante, incroyable et courageuse, je comprends de tout cœur l’intention de ce magnifique projet ». En effet, quotidiennement, l’artiste recevait des messages de personnes qui l’encourageaient à continuer, qui la remerciaient pour son travail qui lui permettait de ne plus se sentir seule dans cette situation. Ces mots pouvaient venir de personnes dans la norme, mais aussi de certaines en surpoids, d’homosexuels, de sourds, d’handicapés moteur…
Blondie – Photographie par Haley Morris-Cafiero
Dans ces projets, Haley Morris-Cafiero ne cherchait pas à montrer du doigt ou à se moquer des personnes prises en photo en train de la dévisager. Elle a répété à plusieurs reprises ne pas les juger, puisqu’elle ne sait pas ce que pensaient ces personnes lorsqu’elles lui lançaient ce regard ou même s’il lui était adressé. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’artiste n’a jamais commenté ses photos et laisse à chaque spectateur le soin de se faire son propre avis.
Son objectif en publiant les clichés est par contre de faire prendre conscience de la dureté du regard qui peut être porté sur les personnes en dehors des standards, qui souffrent déjà souvent de complexes et de mal-être. Elle veut renverser la vapeur en mettant l’observateur, qui se croyait à l’abri derrière elle, sur le devant de la photographie et ainsi engager une discussion avec ces passants pour savoir ce qu’ils ont pu penser.
Les médias qui ont relayé les photos d’Haley Morris-Cafiero ont décrit son projet comme étant à la fois puissant, déprimant, navrant et poignant. Ce sont toutes les émotions qui nous traversent en contemplant ces photos. Et vous, que pensez-vous de la manière dont Haley Morris-Cafiero s’est engagée contre la grossophobie ? Que vous inspirent ses photos ? Dites-nous tout dans un commentaire !
Ursuline
Sources texte :
– espn.com
Sources images :
Images issues du site haleymorriscafiero.com – Par Haley Morris Cafiero
Heureusement que tu n’as pas mis plus de photos, sinon j’aurais pleuré ! Ces regards… ces attitudes… Ça ne m’étonne pas qu’elle reçoive des insultes de la part de personnes qui pourraient tirer partie de son ambitieux combat. La société fragilise puis façonne qui elle veut pour aller dans son sens.
Il faut vraiment beaucoup de courage ou tout autant de confiance en soi (ou les deux) pour se battre contre tant de mépris.
Bref, j’admire son travail… mais je n’achèterai jamais son livre !
Merci pour ton article qui m’a fait découvrir ce combat ! =)