Influence du serrage de la muserolle sur le comportement du cheval

Cheval en bride avec muserolle suédoise
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Le 3 mai dernier, une étude scientifique (disponible en anglais dans son intégralité ici) menée par Kate Fenner et Paul McGreevy s’est penchée sur l’influence que le serrage de la muserolle peut avoir sur le comportement du cheval ou sur son stress. Comment est-ce que cela a été étudié ? Quelles sont les conclusions de l’étude ? Lisez la suite de cet article pour le savoir !

Utilisation de la muserolle

La muserolle est un élément du filet qui se positionne autour du nez et de la mâchoire du cheval.

muserolle suédoise cheval
Cheval monté avec une muserolle suédoise

La plus courante est la muserolle française, elle est aussi la plus douce. En effet, elle n’a pas réellement de rôle restrictif, puisqu’elle n’empêche pas le cheval d’ouvrir la bouche, elle est plutôt décorative pour que le filet ait l’air moins « nu ». À l’inverse, la muserolle suédoise ou « pull-back », à laquelle les scientifiques se sont intéressés dans l’étude, est très sévère. Elle est positionnée comme la muserolle française, mais elle est souvent utilisée en étant plus serrée. C’est ce type de muserolle qui est le plus utilisé en compétition de dressage.

Il a déjà été observé que l’utilisation de la muserolle très serrée peut empêcher une bonne vascularisation et peut causer des problèmes au niveau des nerfs et des os de la tête. Globalement, cela pourrait avoir un impact négatif sur le bien-être des chevaux et créer un stress, mais aucune évaluation précise n’avait jusqu’alors été faite.

Critères étudiés pour évaluer l’influence du serrage de la muserolle sur le comportement du cheval

Kate Fenner et Paul McGreevy ont donc cherché à évaluer les effets de la muserolle sur le comportement des équidés et le stress que cela peut générer chez eux. Pour cela, ils ont étudié l’influence du serrage de la muserolle sur le comportement et sur la physiologie des chevaux.

Concernant les réponses physiologiques, voici ce qui a été passé au crible :

– la fréquence cardiaque (qui est le nombre de battements par minute et s’exprime en “battements par minute” ou “bpm”), qui augmente en cas de stress ;

– la variabilité de la fréquence cardiaque (qui mesure des variations de la durée entre deux battements de cœur consécutifs et est donc une durée exprimée en millisecondes) qui diminue en cas de stress ;

– la température oculaire qui augmente en cas de stress.

 

influence serrage muserolle
Exemple de résultat obtenu pour la mesure de la température oculaire par caméra thermique infrarouge

 

Pour le comportement, plusieurs choses ont été observées :

– la mastication ;

– la déglutition ;

– le bâillement ;

– le léchage ;

– le clignement d’yeux ;

– les mouvements d’oreilles ;

– les mouvements de tête.

Étude de l’influence du serrage de la muserolle sur le comportement du cheval

L’étude a porté sur 12 chevaux d’âge, de race, de sexe et de taille variés, afin que les observations soient statistiquement valables et puissent être généralisées. Ils étaient tous en bonne santé et ne présentaient pas de signes de maladie ou de blessure. Les chevaux étaient manipulés quotidiennement pour être nourris et pour faire des examens de santé.

Pour évaluer l’effet du port d’une bride avec muserolle suédoise, les chevaux qui ont été choisis n’avaient jamais porté ce type de harnachement. Ainsi, l’étude évaluerait l’impact de ces équipements sur des chevaux qui n’y ont jamais été habitués. Si les chevaux y avaient déjà été confrontés, ils auraient pu s’y habituer à des différents degrés ce qui aurait pu entraîner des variations dans les réponses obtenues.

Cependant, une étude complémentaire portant sur l’influence du serrage de la muserolle chez des chevaux étant habitués à ce type de harnachement pourrait apporter des résultats complémentaires intéressants et serait une suite logique à l’étude de Kate Fenner et de Paul McGreevy.

Cheval en bride avec muserolle suédoise
Cheval en bride avec muserolle suédoise

Les chevaux ont été répartis en quatre groupes et le serrage de la muserolle était différent dans chacun de ces groupes :

– UN : « unfastened noseband », c’est-à-dire la muserolle détachée ;

– CAUN : « conventional area under noseband », c’est-à-dire qu’un espace de deux doigts était laissé entre la muserolle et le chanfrein, ce qui correspond au serrage habituellement recommandé pour que la muserolle soit considérée comme étant bien réglée ;

– HCAUN : « half conventional area under noseband », c’est-à-dire qu’un espace d’un doigt était laissé entre la muserolle et le chanfrein, ce qui est plus serré que les recommandations habituelles ;

– NAUN : « no area under the noseband », c’est-à-dire qu’aucun espace n’est laissé entre la muserolle et le chanfrein, la muserolle est serrée au maximum.

Pour que l’étude soit représentative, tous les chevaux ont été testés plusieurs fois dans chaque groupe, et c’est la variation, pour un même cheval, entre chaque groupe qui a été étudiée. Il y avait quatre jours de tests par semaine, donc chaque jour un cheval était dans un groupe différent et, à la fin de la semaine, tous les chevaux avaient été testés dans tous les groupes. Cela a été répété pendant 3 semaines successives, en juillet et août 2015.

Chaque essai avec la muserolle était réalisé au même moment de la journée, par la même personne. Elle se déroulait en trois étapes durant lesquelles la température oculaire était lue toutes les minutes, le comportement était filmé en continu et la fréquence cardiaque était mesurée chaque seconde :

– il y avait tout d’abord une session d’ « entraînement » de 10 minutes sans la muserolle, le cheval restant immobile dans la zone de test ;

– ensuite, la phase de « test » débutait, la muserolle était alors ajustée selon le groupe dans lequel chaque cheval était intégré, mais celui-ci restait toujours immobile pour ne pas influencer la température oculaire ou le rythme cardiaque ;

– finalement, une dernière étape était celle de « récupération », durant laquelle les chevaux étaient débridés pendait 10 minutes et restaient à nouveau immobiles dans l’aire de test pour évaluer une réponse post-test.

Après ces trois étapes, les chevaux étaient remis dans leur paddock.

Résultats de l’étude de l’influence du serrage de la muserolle sur le comportement du cheval

Une augmentation significative de la fréquence cardiaque a été observée pendant le « test » chez les chevaux du groupe NAUN, c’est-à-dire ceux avec la muserolle la plus serrée, par rapport à la phase d’« entraînement ». C’est une réponse physiologique au stress qui a déjà été démontrée lors d’autres études (par exemple en montrant aux chevaux des objets qu’ils ne connaissent pas). Ceci montre qu’une muserolle serrée provoque un inconfort important chez le cheval, qui peut venir de l’impossibilité de faire des mouvements normaux (mastication, bâillement…) et/ou de la douleur que ce harnachement provoque.

Étude de la fréquence cardiaque (en battements par minute) en fonction de l’étape de l’étude (baseline = « entraînement », treatment = « test », recovery = « récupération »)
Étude de la fréquence cardiaque (en battements par minute) en fonction de l’étape de l’étude (baseline = « entraînement », treatment = « test », recovery = « récupération »)

La variabilité de la fréquence cardiaque est beaucoup moins importante lors du test avec la muserolle serrée que lors de l’entraînement. Plus la variabilité de la fréquence cardiaque est élevée, plus le cheval s’adapte aux modifications de l’environnement. À l’inverse, plus la variabilité est faible, plus le cheval éprouve une difficulté à faire face aux contraintes exercées sur lui. Ainsi, avec une muserolle serrée, le cheval résiste moins aux contraintes environnementales, ce qui provoque un inconfort et donc un stress.

Concernant la température oculaire, elle augmente significativement chez les chevaux avec la muserolle serrée par rapport à l’entraînement, mais une diminution est observée pendant la récupération. Cela est aussi un signe de stress, déjà mis en évidence dans d’autres études. L’augmentation observée simplement en serrant la muserolle est similaire à celle des chevaux soumis au stress aigu d’une compétition hippique par exemple.

La mastication est un signe de détente du cheval et est beaucoup moins observée chez les chevaux des deux groupes avec les muserolles les plus serrées par rapport à ces chevaux à l’entraînement, bien qu’elle existe toujours (en moyenne 14,20 mastications sur les 10 minutes de test pour la muserolle détachée ; 11,99 mastications pour le groupe avec la muserolle laissant passer 2 doigts entre le chanfrein et la muserolle ; 7,88 pour le groupe avec la muserolle laissant passer 1 doigt entre le chanfrein et la muserolle ; 3,61 pour le groupe ayant la muserolle serrée au maximum). La mastication est à nouveau observée lors de la période de récupération pour ces équidés, ce qui montre que c’est bien l’action de la muserolle qui empêche ce comportement. À l’inverse, la mastication chez les chevaux ayant la muserolle détachée ou peu serrée varie peu entre la session de test avec la muserolle et la récupération.

Si un cheval bave, ça n’est pas forcément qu’il est décontracté, ça peut être parce qu’il a du mal à déglutir !
Si un cheval bave, ça n’est pas forcément qu’il est décontracté, ça peut être parce qu’il a du mal à déglutir !

La déglutition est un autre signe de bien-être du cheval. Les chercheurs ont remarqué qu’elle diminue lors des tests avec les muserolles serrées par rapport à l’entraînement, ce qui est le signe d’un possible inconfort. À l’inverse, lorsque la muserolle est peu serrée, la déglutition augmente lors du test par rapport à l’entraînement.

Dans tous les groupes, la déglutition augmente après le test, pendant la récupération. Le bâillement était négligeable quel que soit le serrage de la muserolle et augmentait fortement entre l’entraînement et la récupération. Le même comportement est observé pour le léchage.  Cela met en évidence une réponse post-inhibitrice, c’est-à-dire un comportement plus fréquent après le test que pendant l’entraînement.

Comme cette réponse post-inhibitrice est observée dans tous les groupes de chevaux pour la déglutition, le bâillement et le léchage, elle peut indiquer que toutes les muserolles (qu’elles soient serrées ou pas) imposent des contraintes comportementales au cheval et que la douleur ou le stress sont plutôt mis en évidence par les critères physiologiques que comportementaux. Cependant, leur observation n’est pas inintéressante puisque les variations avant et après le test montrent que les comportements qui sont perturbés par le harnachement sont importants pour le cheval.

Les comportements observés lors de la période précédant le test (« entraînement ») sont les comportements normaux. Ainsi, il a été montré qu’une muserolle trop serrée peut inhiber, en partie ou complètement, ces comportements.

Finalement, aucune modification significative du clignement des yeux, des mouvements des oreilles ou de ceux de la tête n’a été mise en évidence au cours des tests. La muserolle ne semble pas avoir d’effet sur ces comportements.

Polémique sur l’utilisation des muserolles suédoises à un mois des Jeux olympiques ?

L’étude de Kate Fenner et de Paul McGreevy, publiée le 3 mai dernier, n’est pas passée inaperçue, à quelques mois des Jeux olympiques, puisqu’elle remettait directement en question les directives de la Fédération Équestre Internationale.

En effet, depuis plusieurs années, certaines pratiques équestres sont régulièrement dénoncées et le dressage est particulièrement visé : l’utilisation du « rollkur », les langues cyanosées des équidés dites « langues bleues », la présence de sang dans la bouche des chevaux pendant l’épreuve qui a entraîné la mise en place de la « blood rule » en 2012 (élimination de tout cheval présentant des traces de sang frais), le dopage

Le harnachement dont sont équipés les chevaux de compétition a depuis longtemps été montré du doigt. L’utilisation de la muserolle suédoise en compétition de dressage de haut niveau (comme par exemple pendant la FEI World Cup ou encore pendant les Jeux Équestres Mondiaux) peut s’expliquer par les critères de notation, qui incluent des pénalités si le cheval montre des signes de résistance, sort la langue ou grince des dents. En effet, cette muserolle permet de restreindre les mouvements de la langue du cheval qui ne peut pas s’en servir pour réduire la pression du mors, ce qui le rend plus sensible et donc plus réceptif aux demandes du cavalier. Ainsi, la muserolle trop serrée élimine les comportements qui pourraient entraîner des sanctions puisque le cheval ne peut plus s’exprimer.

blood rule muserolle
Edward Gal, éliminé lors des Championnats d’Aix-la-Chapelle 2015 selon la « blood rule », son cheval avait du sang dans la bouche

L’association australienne de protection animale, RSPCA Australia, a demandé à la Fédération Équestre Internationale d’interdire l’utilisation de muserolles suédoises dans les compétitions, au nom du bien-être animal.

Consciente du problème depuis longtemps, la Fédération Équestre Internationale avait mis en place une directive réglementant le serrage des muserolles : il fallait pouvoir passer deux doigts sous la muserolle pour que l’équipement soit considéré comme étant bien réglé et pour autoriser le cheval à concourir. Cependant, des opposants à cette règle ont argumenté en disant que c’était une mesure trop peu précise pour être appliquée et la Fédération Équestre Internationale a fini par la retirer, même si elle assure chercher des moyens de contrôler le bien-être des chevaux.

Paul McGreevy a alors proposé un outil en plastique, en forme de cône, qui pourrait servir à mesurer l’espace entre le chanfrein et la muserolle (s’il passe entre la muserolle et le chanfrein, c’est que le harnachement est bien réglé, dans le cas contraire il faut desserrer la muserolle), mais la Fédération Équestre Internationale ne l’a pas adopté. Elle assure que le meilleur moyen actuellement reste de faire un contrôle physique des chevaux, avant et après la compétition, pour vérifier l’utilisation correcte des muserolles.

L’étude de Kate Fenner et de Paul McGreevy a donc prouvé que l’utilisation d’une muserolle trop serrée avait des conséquences négatives sur le cheval, puisqu’elle modifiait son comportement normal (mastication…) et entraînait des réponses physiologiques associées au stress (augmentation du rythme cardiaque et de la température oculaire, diminution de la variation du rythme cardiaque…). Cela remet sur le devant de la scène les polémiques concernant certaines pratiques équestres, en particulier en dressage de haut niveau.

Que pensez-vous de ces résultats ? Pensez-vous que de telles études puissent contribuer à changer les pratiques équestres et à faire réagir la Fédération Équestre Internationale ? N’hésitez pas à donner votre avis dans un commentaire !

Ursuline

Sources texte :

Journals.plos.org

Cheval-savoir

Sources images :

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Image 2 : figure 1 de journals.plos.org

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Image 4 : figure 2 de journals.plos.org

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3 réflexions sur “Influence du serrage de la muserolle sur le comportement du cheval”

  1. Cheval Sauvage

    Très intéressant ton article. Le dressage au niveau olympique, c’est souvent affligeant, et là c’est bien qu’une étude scientifique ait démontré qu’une muserolle serrée nuisait au bien-être, peut-être que la souffrance des chevaux sera un peu moins ignorée… Enfin j’espère, mais entre la FEI qui ne veut pas se mouiller, le personnel qui ferme les yeux et les critères de jugement qui poussent au crime, on n’est pas sorti de l’auberge…

     
  2. Super intéressant ton article, bien documenté et tout. C’est une super initiative ces études et ces nouvelles règles, j’espère que les chevaux seront plus protégés lors des concours…

     

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