L’allaitement maternel : vision sociétale et évolution des pratiques

L'allaitement maternel
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Comme tous les mammifères, les êtres humains et plus particulièrement les femmes sont dotées de la capacité d’allaiter leurs enfants. Au fil du temps, le point de vue de la société sur cette pratique n’a cessé d’évoluer suivant les découvertes scientifiques les guerres et les révolutions en tout genre. Dans la suite de cet article, venez découvrir l’évolution de l’allaitement maternel.

L’allaitement maternel, du sein au biberon

Statue de la Déesse mère

Depuis que les mammifères sont apparus sur Terre, ils allaitent leurs petits. L’humain ne fait pas exception à la règle. Cependant, au Moyen Âge, lorsque les femmes doivent aller travailler elles n’ont plus la possibilité d’allaiter leurs enfants à la demande. Ainsi, le cornet est inventé afin de nourrir les bébés. Il s’agit d’une corne de vache sur laquelle se trouve un embout artisanal (morceau de cuir cousu en entonnoir, bout de bois sculpté ou encore pis de vache parcheminé). Du lait animalier, le plus souvent de vache, est mis à l’intérieur, et ceci est offert en alternative au sein maternel au bébé.   
 
Plusieurs spécialistes suggèrent que l’invention du biberon remonte en réalité à l’Antiquité et cela afin de pouvoir faire boire de l’eau aux bébés. Néanmoins, un débat est en cours à ce propos dans le milieu archéologique, car plusieurs objets auxquels l’usage du biberon avait été attribué seraient en réalité des contenants pour d’autres types de liquide. De ce fait, l’origine actuellement avérée du biberon remonte au Moyen Âge.   
 
Le nom de cet objet, que l’on connaît tous, vient du terme latin bibere qui signifie « boire ». Au XIXe siècle, alors que la Révolution industrielle bat son plein, la production à grande échelle de flacons en verre devient possible. Progressivement, ce modèle de biberon surmonté d’une tétine en latex vient remplacer les cornets moyenâgeux et les récipients métalliques.   
 
Nous sommes à la fin du XIXe siècle et le métier de nourrice est à son crépuscule. Ces femmes, dont le rôle est de nourrir au sein les enfants qu’elles gardent, sont peu à peu remplacées par le biberon.   
 
À l’aube du XXe siècle, Édouard Robert invente le premier biberon à long tuyau qui est popularisé à travers toute l’Europe avant d’être interdit en 1910 et surnommé « le biberon de la mort ». Nous reviendrons sur les raisons de cette appellation plus bas dans cet article.   
 
La démocratisation du biberon permet aux parents de faire garder leurs enfants plus près de leur lieu de travail ou de leur domicile. Ainsi, les bébés sont gardés la journée et ne doivent plus séjourner en campagne durant de longs mois loin de leurs parents, les nourrices (souvent issues de familles pauvres) ne pouvant vivre en ville. Cet argument de poids est alors très utilisé par les défenseurs du biberon contre les arguments des personnes prônant l’allaitement maternel.   
 
Toutefois, cette petite révolution dans l’univers nourricier est rapidement secouée par une vague de décès infantiles. Sur 100 bébés parisiens nourris au biberon en 1870, plus de la moitié décède. Un retour en arrière des médecins et des politiques est alors tenté afin d’enrayer cette hécatombe. Les découvertes de Pasteur en matière d’hygiène viennent apporter un regard neuf sur l’utilisation des biberons.   

L’allaitement maternel, la fin des biberons infanticides

Bien que très appréciés par les parents puisque permettant aux enfants de se nourrir seuls, les biberons à long tuyau se révèlent être de véritables bouillons de culture, car ils étaient impossibles à laver correctement. Lorsqu’il mène une étude à ce propos en 1881, le docteur Fauvel découvre que les tuyaux des biberons, mais aussi les tétines et dans certains cas les récipients, contiennent des végétations cryptogamiques (c’est-à-dire des champignons) ainsi que de nombreuses colonies de microbes tels que le choléra infantile ou la diarrhée infectieuse.   
 
Cependant, le biberon n’est pas l’unique fautif. En effet, l’absence de contrôle du lait donné aux enfants est très vite pointée du doigt. Une vérification systématique du lait est ainsi instaurée en 1890. Il s’agit d’un contrôle sanitaire et vétérinaire, visant à déceler la présence de micro-organismes complété par un test antituberculeux. En parallèle de cela, un véritable mouvement d’éducation à l’hygiène alimentaire est lancé afin de mener les mères et les nourrices (terme qui désigne désormais les baby-sitters d’alors) à pratiquer la stérilisation domestique des biberons, ainsi que la pasteurisation (action de chauffer le lait au-delà de 72 degrés Celsius durant minimum 15 secondes), afin d’en éliminer toutes les bactéries systématiques du lait, qui peut ainsi être conservé. Ces mesures contribuent grandement à faire baisser la mortalité infantile.   
 
Cependant, un dernier problème de taille demeure et lance la course au lait maternisé : la falsification du lait.    

L’allaitement maternel, du lait plus sûr

Afin d’augmenter le volume de liquide sans devoir pour autant acheter des litres de lait supplémentaires, il est courant d’ajouter de l’eau dans les biberons. Cette pratique ne cesse qu’au début des années 1900, les estomacs des tout petits ayant beaucoup de mal à digérer ce mélange, et la supercherie faisant couler beaucoup d’encre puisque chaque biberon de lait donné à un enfant est ensuite facturé par la nourrice aux parents. Ainsi, les familles paient ce qu’elles pensent être uniquement du lait, au prix de ce dernier, alors que les biberons contiennent une majorité d’eau.   

Dans un même temps, le lait est écrémé afin qu’une plus grande quantité soit nécessaire au remplissage des biberons et devient ainsi presque transparent. Pour lui redonner son aspect initial, des substances telles que de l’eau de chaux, du caramel, de la chicorée ou encore du safran y sont mélangées. Des essais sont menés afin de retarder la fermentation du lait en y ajoutant différents acides (salicylique, borique ou formique).   
 
Bien entendu, les conséquences de ces transformations sont catastrophiques sur la santé des nourrissons et, par chance, ces différents procédés sont rapidement mis à jour et dénoncés.   
 
C’est ainsi qu’en 1894 est créée la « Goutte de lait » par le Docteur Léon Dufour. Cette organisation distribue du lait stérilisé, propose des formations en matière d’hygiène et de puériculture ainsi que des consultations médicales pour les nourrissons. Rapidement, l’organisation s’étend, offrant aux mères ne pouvant allaiter une alternative plus sûre à l’alimentation de leurs bébés.  

L’allaitement maternel, du liquide à la poudre  

Premier logo Nestlé

Désireux de trouver un substitut de lait maternel bon pour la santé des nourrissons à proposer aux mamans rencontrant des problèmes d’allaitement, le pharmacien Henri Nestlé se met à rechercher scientifiquement des alternatives aux laits commercialisés, ceci dès 1860. Il expérimente des mélanges de lait de vache avec de la farine de froment et du sucre afin d’atteindre son objectif principal, à savoir celui de combattre la malnutrition et la mortalité infantile.   

Après plusieurs années de recherches, Henri Nestlé parvient à mettre au point la première recette de lait maternisé en poudre à dissoudre dans l’eau et crée la société Nestlé, laquelle évoluera en élargissant ses activités pour devenir la plus grande entreprise agroalimentaire mondiale que nous connaissons désormais.   
 
Les avantages offerts par le lait en poudre de Henri Nestlé sont la facilité de stockage, la préparation rapide et sûre (plus besoin de pasteuriser le lait) et la possibilité de l’emporter partout avec soi.   
 
Très vite, de nombreux chercheurs se penchent sur la recette de Henri Nestlé et plusieurs marques de lait en poudre sont créées, apportant chacune son lot de promesses. Alors que certaines se targuent de proposer des produits plus riches en calcium, d’autres mettent en avant l’absence de graisses ou, avec le temps, prétendent à un développement plus rapide de l’enfant nourri par le produit en question. Bien entendu, ces arguments uniquement commerciaux visent à garder les ventes au sommet.   
 
Bien que cette invention soit un immense pas en avant dans le cadre de l’alimentation infantile et de la sécurité, plusieurs pédiatres avertissent que les laits en poudre ne peuvent apporter tous les avantages du lait maternel, qui porte, entre autres, les anticorps de la maman que le bébé ingurgite ensuite.   
 
Durant plus de 60 ans, depuis la découverte du lait en poudre vers 1900 jusqu’à la fin des années 1960, celui-ci demeure une alternative coûteuse à l’alimentation des nourrissons et, la plupart du temps, réservée aux mères rencontrant des difficultés à allaiter.   
 
Mais, les années 1960 touchant à leur fin, un vent nouveau se lève soudain sur l’Europe. Partout, on voit surgir des mouvements réclamant la liberté, luttant pour plus de droits. Les milieux minoritaires, tels que les femmes, les étudiants et de nombreux corps de métiers, font entendre leur voix. À l’aube de l’année 1968, les mères se joignent au combat.    

L’allaitement maternel, la libération de la mère

Portées par l’explosion sociale de mai 68, les mères osent faire entendre leur voix. À la suite des écrits de Françoise Dolto, qui en profite pour replacer l’enfant à sa juste place dans les familles et en rappelle la personnalité propre, les mamans réclament le droit à être femme et non plus seulement mère. Ainsi, l’allaitement maternel est placé en première ligne pour consolider ce besoin de liberté. Peu à peu, les femmes abandonnent l’alimentation au sein et se tournent vers les laits en poudre, dont le marché et la commercialisation explosent.   
 
Répondant à la demande croissante, les maternités proposent de plus en plus de biberons de lait maternisé et vont jusqu’à convenir de partenariats avec certaines marques. Il n’est donc pas rare que de jeunes parents quittent la maternité où est né leur enfant avec une boîte de lait en poudre, généreusement offerte, sous le bras.   
 
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) se lance, en 1970, dans une immense campagne visant à réduire drastiquement la malnutrition et la mortalité infantile, à l’instar de Henri Nestlé, et va envoyer des centaines de milliers de boîtes de lait en poudre dans les pays du tiers-monde, surtout en Afrique, afin de leur venir en aide.   
 
Après de premiers résultats concluants, les années passent et mettent en exergue des problèmes jamais relevés jusqu’alors, parmi lesquels la qualité de l’eau utilisée pour dissoudre le lait en poudre. De très jeunes enfants décèdent suite à la consommation d’eau polluée. De plus, des retards de croissance sont observés, et le prix du lait en poudre apparaît en être la cause principale. En effet, le coût élevé d’une boîte pour une famille pauvre encourage les mères à réduire les doses de lait, lequel n’est ainsi pas assez nourrissant pour les bébés.   
 
Obligée de faire marche arrière, l’OMS se heurte alors aux fabricants de lait en poudre dont les intérêts économiques sont en jeu. Alors que le combat pour un retour de l’allaitement au sein s’annonce compliqué, des alliées venus de l’autre côté de l’océan Atlantique interviennent dans le débat.    

L’allaitement maternel, le retour à la source

Logo Leche League Internationale

Né de la volonté de sept femmes d’aider les mères souhaitant allaiter leurs enfants, mais ne trouvant plus ou peu de soutien auprès du corps médical, La Leche League Internationale devient rapidement un acteur de poids. Après s’être rapidement développé sous forme d’association aux États-Unis, le mouvement atteint les côtes européennes alors que l’OMS tente un retour en arrière vis-à-vis des laits en poudre.   
 
Bien que cela se fasse pas à pas, l’abandon des laits maternisés, la formation de conseillères en lactation et le suivi médical des jeunes enfants mènent enfin au but fixé par l’OMS, à savoir une diminution de la mortalité infantile.   
 
Cette campagne de « retour à la source » prend fin dans les années 1990, et un autre constat est alors fait. Bien que l’allaitement maternel porte ses fruits en Afrique, l’Europe ne semble pas prompte à faire marche arrière.   
 
En effet, la mortalité infantile y étant moindre et le lait en poudre offrant de grandes libertés aux mères qui peuvent ainsi reprendre le travail rapidement, la question semble ne pas se poser. De plus, le fait de tirer son lait pour le donner ensuite au biberon à l’enfant se propage rapidement, offrant ainsi un juste milieu entre l’allaitement au sein et au biberon grâce au lait en poudre. Les pères peuvent aussi dès lors, tout comme avec le lait en poudre, participer activement aux repas des nourrissons.   
 
Désormais, une prévention maximale des avantages de l’allaitement maternel est menée par le corps médical (médecins, sages-femmes, pédiatres). Du côté des maternités, des labels tels que « maternité amie des bébés » ont été créés afin de promouvoir l’allaitement maternel auprès des jeunes mères. Les établissements souhaitant obtenir ce label doivent ainsi tout mettre en œuvre pour favoriser l’allaitement, mais aussi le bien-être général du bébé et cela dès l’accouchement.    

L’allaitement maternel, le sein de la discorde   

Alors qu’en mai 68, les mères demandaient à ne plus être « esclaves » de leur famille et revendiquaient la possession de leur corps en arrêtant d’allaiter (« Mères mais pas que nourricières ! » crièrent des mamans dans les rues de Paris), un autre combat est en cours pour les mamans allaitantes de notre génération.   
 
Au fil des années, l’image du sein nourricier s’est peu à peu transformée en celle du sein sexualisé, symbole autrefois de liberté et désormais d’érotisme. Les réseaux sociaux font la chasse aux photos laissant apparaître un ou des seins nus, et la simple représentation d’un mamelon suffit à mener à la censure.   
 
Le simple fait d’allaiter en public peut rapidement se transformer en exercice houleux voire en véritable débat, lorsque la maman allaitante n’est pas priée de quitter immédiatement les lieux de l’outrage si elle ne cesse pas son activité dans l’immédiat. Des milliers de témoignages de mamans ayant subi ces situations peuvent être trouvés sur Internet.   
 
Le sein dérange, et là où nombre de personnes s’attendrissent face à une mère allaitant son nourrisson, elles seront scandalisées si cela concerne un bambin de plusieurs mois. Quant aux mères ayant choisi de mener un allaitement long, avec pour but un sevrage naturel (variant entre 3 et 7 ans), elles doivent lutter au quotidien pour rappeler les avantages de ce mode d’alimentation et pour ne pas se voir accuser de tous les maux, entre autres d’inceste surtout si elles sont mères d’un petit garçon.   
 
En Europe, des pédopsychiatres reconnus n’hésitent pas à citer de véritables traumatismes pour les enfants grandissant et dont les mères s’obstineraient à les garder au sein. Les fans de la série Game of Thrones ont sans doute retenu l’image d’une reine allaitant son fils, largement en âge de se détacher du sein maternel. À nouveau, l’idée du sein sexualisé est mise en avant alors que l’acte concret de l’allaitement signifie nourrir son enfant.   
 
Dans plusieurs sociétés africaines, la question de l’image du sein de la femme ne se pose même pas. Dans les villages d’Afrique noire, les mères se promènent seins nus afin de pouvoir allaiter les enfants de la communauté. Peu importe qui sont les parents biologiques d’un enfant, si celui-ci a faim, il y aura toujours une mère allaitante pour le nourrir. Sur ce continent, au sud des pays musulmans du Maghreb, l’image du sein n’a rien de sexuel. Les toitures des greniers ont d’ailleurs la forme d’un sein, avec une sorte de mamelon au centre, afin de signifier la présence de nourriture issue de la Terre-Mère.   
 
Connaissiez-vous cette évolution de l’allaitement maternel au sein de notre société ? Si vous êtes maman, quel choix avez-vous pris pour l’alimentation de votre bébé et pourquoi ? Venez nous expliquer cela dans un commentaire !

Owlonoak

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5 réflexions sur “L’allaitement maternel : vision sociétale et évolution des pratiques”

  1. LittleBunny

    Merci pour l’article, c’était très intéressant! Je connaissais pas du tout les débuts de Nestlé, je suis hyper surprise pour le coup!

     
  2. Je suis attristée pour ces mères qui allaitent en public que certains considèrent comme pestiférées. Je préfère voir une maman qui allaite plutôt que d’entendre un bébé qui hurle de faim à pleins poumons. J’espère que la société portera un regard bienveillant sur ces mères qui généralement, tentent d’allaiter le plus discrètement possible.

     
  3. Super article! On y apprend beaucoup! Je suis maman d’un bébé de 4 mois et demie et pour l’instant j’allaite, je n’ai pas encore commencé la diversification. Je vie en Belgique, et à la maternité on m’a encouragé, beaucoup aidé dans les débuts de mon allaitement. Je ne regrette rien, je ne pensai vraiment pas adorer allaiter à ce point. Et quand je suis dans les lieux publics j’allaite en mettant un petit voile, foulard, pour cacher mon sein. Je n’ai jamais eu de regard de travers jusqu’à maintenant.

     
  4. MrsMinette

    Merci pour cet article, j’ai appris énormément de choses ! C’est affreux tous ces bébés morts !! Les nourrissons ont été des testeurs des essais d’évolution des adultes. 50 % de bébés morts certaines années quand même. Ca me choque et m’émeut, d’autant que dans certains pays, la mortalité infantile est quasiment similaire… =(
    Je ne connaissais pas non plus les début de Nestlé…

    Comme Eylina, j’ai choisi l’allaitement maternel et j’ai adoré ! J’ai dû arrêter parce que je n’avais plus de lait (à cause de la reprise du travail, et malgré le fait que je tirais mon lait). J’ai aussi adoré allaiter, j’en garde un excellent souvenir ! Je n’ai pas eu de mauvais souvenir en public, mais j’ai croisé des regards entre curieux et interrogateurs.

    En région lyonnaise, l’association la plus connue est Galactée, mais elle a le même objectif que la Lechee League.

    Encore merci pour cet article ! =)

     
  5. Bonjour, je tenais à vous féliciter pour cet article très intéressant sur l’évolution de l’allaitement maternel. Vous avez su aborder le sujet avec précision et clarté, tout en offrant des informations pertinentes sur l’histoire de cette pratique. J’ai particulièrement apprécié votre analyse sur l’influence de la société et de la culture sur l’allaitement maternel. Votre article m’a donné envie d’en apprendre davantage sur le sujet et je suis curieux de connaître votre opinion sur les pratiques actuelles de l’allaitement maternel. Merci pour ce partage instructif.

     

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